Sélection Il était une fois... à l'opéra
La mythologie antique, la bible et les personnages historiques, sans oublier les tragédies de Shakespeare, ont toujours été de grands pourvoyeurs de sujets pour l’opéra depuis Monteverdi. Mais aux alentours de 1900 les contes de fées apportent une fraicheur nouvelle aux scènes lyriques, en alimentant ce goût du merveilleux qui sied si bien au genre.
Déjà au début du XIXème siècle, la vogue de l’opéra-féérie avait remis au goût du jour fées, sorcières, ogres et génies. Les frères Grimm avaient publié leur recueil en 1812, un siècle après Charles Perrault.
Les auteurs de livrets puiseront abondamment dans ces sources mais aussi dans tout le fonds ancien de contes, lequel remonte parfois jusqu’à l’Antiquité. Quitte à s’écarter parfois fortement de l’histoire originale pour les besoins de l’intrigue, de l’expérimentation musicale ou de préoccupations politiques et philosophiques. On est parfois loin du monde de l’enfance mais les contes de fées sont-ils vraiment faits pour les enfants ?
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Cendrillon
L’opéra-féerie de Nicolas Isouard (1810) lance en Europe une mode Cendrillon dont s’inspirera Rossini en 1817 (La Cerenentola). A fin du siècle (1899), Jules Massenet en réalisera une version ambitieuse qui annonce Debussy. D’autres compositeurs suivront : Ermanno Wolf-Ferrari (1900), Pauline Viardot (1904) ou Peter Maxwell Davies (1980).
L’opéra de Massenet reste assez proche du conte de Perrault tandis que l’opéra-bouffe de Gioacchino Rossini s’en éloigne sensiblement tout en gardant la trame de l’histoire. La pantoufle devient bracelet pour éviter aux actrices de l’époque de montrer leurs jambes, la belle-mère est remplacée par Don Magnifico. Des éléments comiques apparaissent dans le texte.
N.B. : La Cerenentola de Rossini est programmée à l’Opéra de Paris fin 2018, sous la direction musicale d’Evelino Pido
Hänsel et Gretel
Le thème des enfants abandonnés dans la forêt est récurrent dans les contes (qu’on pense au Petit poucet) mais c’est bien Hänsel und Gretel qui s’est imposé dans le domaine germanique. Engelbert Humperdinck en tire en 1893 un opéra qui entrera vite au répertoire des scènes lyriques allemandes et qui est aujourd’hui joué dans le monde entier, notamment lors des fêtes de fin d’année. Les plus grandes chanteuses ont souhaité prêter leur voix aux personnages d’un opéra qui convient aussi bien aux enfants qu’aux adultes.
Humperdinck s’est d’ailleurs fait une spécialité du Märchenoper (opéra féerique) en adaptant La Belle au bois dormant (Die Dornröschen, 1902) et Enfants de roi (Königskinder, 1897).
Barbe bleue
Après André Gretry et Jacques Offenbach, c’est un versant bien plus sombre du conte qu’explorent Paul Dukas (Ariane et Barbe-bleue, 1907) puis Belà Bartok (Le Château de Barbe-bleue, 1911). Chez Dukas, qui suit Maeterlinck, les femmes de Barbe-Bleue ne sont pas mortes mais refusent la liberté que leur propose Ariane, tandis que le héros de Bartok reste enfermé, lui, dans sa solitude.
Rusalka
Cet opéra d’Antonin Dvorak a été créé à Prague le 31 mars 1901. L’histoire d’une jeune nymphe qui souhaite prendre forme humaine pour obtenir l’amour du prince rappelle bien sûr La Petite sirène d’Andersen et provient du fonds de légendes populaires répandues dans toute l’Europe. Ainsi plusieurs personnages (Ondine, Mélusine, …) incarnent l’incompatibilité entre le monde des hommes et le monde surnaturel. Un air magnifique de l’acte I a rendu l’opéra célèbre : la « prière à la lune ».
N.B. : Rusalka est programmée début 2019 à l’opéra Bastille, dans la mise en scène de Robert Carsen
La Petite Renarde rusée
Prisonnière d’un garde-chasse qui veut en faire un animal domestique, la petite renarde s’échappe dans les bois et tombe amoureuse d’un renard. Ils se marient et ont beaucoup de petits renardeaux, jusqu’au jour où la petite renarde tombe sous les balles d’un chasseur.
Cet opéra du compositeur tchèque Leos Janacek, composé entre 1921 et 1923, est tiré d’une nouvelle de Rudolf Tesnohlidek, structurée comme un conte d’animaux (les fées en sont absentes) mais qui n’est pas destinée aux enfants. La musique de Janacek, inspirée de chants populaires moraves et célébrant la nature, est pleine de fraîcheur.
La conte du tsar Saltan / Le Coq d’or
Nicolaï Rimski-Korsakov a écrit plusieurs opéras à partir de contes de Pouchkine. Le Conte du tsar Saltan, de son fils, glorieux et puissant preux le prince Gvidone Saltanovitch et de la très belle princesse cygne a été représenté à Moscou en 1900. L'œuvre est restée célèbre grâce à l'interlude orchestral du troisième acte , « Le Vol du bourdon ».
Crée en 1909 après la mort du compositeur, Le Coq d’or mêle la féérie et la poésie du conte traditionnel à la satire politique, quelques années après la révolution de 1905 : la figure de Nicolas II est bien perceptible derrière le personnage du tsar Dodon qui souhaite gouverner en dormant …
Le Rossignol
Un pêcheur dans son bateau écoute le magnifique chant du rossignol. Des courtisans invitent le bel oiseau à chanter devant l’empereur de Chine dans son palais. L’empereur est très ému.
Le premier opéra d’Igor Stravinsky s’inspire d’un conte d’Andersen : Le rossignol et l’empereur de Chine. Il fut donné pour la première fois à l’Opéra de Paris en 1914, dans la saison des Ballets russes. Stravinsky reprendra en 1917 l’essentiel de la musique des actes II et III pour en faire une suite symphonique susceptible d’être montée en ballet, Le chant du rossignol.
Aujourd’hui encore…
Les contes de fées continuent d’inspirer les compositeurs d’aujourd’hui. Le format de l’opéra pour enfants est souvent privilégié (Isabelle Aboulker) mais pas seulement. Hans Werner Henze s’empare du Petit poucet (Pollicino,1980), Helmut Lachenmann de la Petite fille aux allumettes (Das Mädchen mit den Schwefelhölzern, 1996) pendant que Philip Glass réécrit La Belle et la bête (1994) par-dessus le film de Jean Cocteau. Le compositeur suisse Heinz Holliger délivre une version postmoderne et psychanalytique de Blanche-neige (Schneewitchen, 1998) à partir de la relecture qu’en a fait Robert Walser. Et en 2006 le premier opéra de George Benjamin, Into the little hill, revisite brillamment Le Joueur de flûte de Hamelin.
Coda
Les contes de fées ont aussi servi d’arguments pour nombre de ballets du répertoire classique ou contemporain, de Cendrillon à Casse-Noisette, de Prokofiev à Jean-Christophe Maillot. Mais il y a là matière à un autre article …
Parc Marc C. et Blandine M.