Livre


Klaus Barbie : nom de code Adler


Peter Hammerschmidt (1963-....). Auteur

Edité par les Arènes - paru en DL 2016


De son enfance au procès de Lyon en 1987, l'ouvrage recompose l'itinéraire de celui qui se rendit célèbre par son efficacité au sein de la Gestapo : le boucher de Lyon. L'historien s'appuyant sur des archives américaines et allemandes révèle son parcours professionnel après la Seconde Guerre mondiale. ©Electre 2016



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  • Klaus Barbie: nom de code Adler 4/5

    L'historien allemand Peter Hammerschmidt fait un portrait précis et étayé de Klaus Barbie, un homme qui, bien que célèbre pour avoir démantelé la résistance lyonnaise dont il fait arrêter et tuer le chef, Jean Moulin, a un parcours après-guerre assez méconnu. Or, c’est justement la deuxième partie de l’existence de Barbie que Peter Hammerschmidt a étudiée de près. Les états de service du jeune nazi, des rafles à Amsterdam à l'assassinat de Jean Moulin, sont en effet connus. A l’inverse, le flou entourait le recrutement du criminel par le renseignement militaire américain, et son action en Amérique du Sud. A l’aube de la guerre froide, le commandement militaire américain est prêt à tout pour contrer les Soviétiques, quitte, comme le préconisait le général Patton, à frayer avec des nazis. C’est dans cette logique que Barbie, spécialiste de la traque anticommuniste, commença à travailler dès 1946 pour le Counter Intelligence Corps (le service de renseignement de l’US Army), qui l’appointa le 14 avril 1947 sous le matricule X-3054. Le tout à l’insu de la hiérarchie du CIC, néanmoins prête à cautionner, deux mois plus tard, le peu d’entrain manifesté par ses hommes à éplucher les antécédents du nouvel agent. Car, contrairement à la version officielle, le CIC n’attendra pas 1949 avant de connaître le passif de son protégé, au demeurant bourré d’atouts: «Un officier de renseignement qualifié, farouchement anticommuniste», assure son recruteur. Pour lui, Barbie est «un homme honnête, [… ] un anticommuniste revendiqué et un nazi idéaliste, qui s’estime trahi, lui et ses convictions, par les nazis». Tous les rapports sur les activités de Barbie ont disparu. On sait néanmoins qu’il est bien payé et dispose, en cette période de pénurie, d’avantages en nature synonymes de privilèges. Mieux, il fait passer au service du CIC des individus recherchés, comme les généraux SS Emil Augsburg et Fritz Arlt, l’un des acteurs clés de la Shoah en Pologne. Quand un cadre du CIC demande à enquêter sur Barbie, ses supérieurs prétextent que l’arrêter saperait la confiance des autres recrues. Surtout, ils le défendent pour ses «renseignements exceptionnels»: en mai 1948, Klaus Barbie, alias Becker, alias Behrends, alias Mertens, reçoit ainsi pour mission d’infiltrer le Parti communiste allemand. Au regard de son expertise de la France, il est de surcroît nommé coordinateur de l’ensemble des opérations contre les services de renseignement français. Encore plus étonnant: Hammerschmidt souligne que, côté français, on sait depuis décembre 1948 où se trouve le responsable de la rafle des enfants d’Izieu et d’une liste interminable d’atrocités, qui lui vaudront, en 1952 et 1954, la peine de mort par contumace: «Il est ainsi permis de penser qu’il a été décidé de laisser Barbie en liberté», estime le chercheur. Un juge réclamant son extradition aux autorités américaines, et le scandale national qui s’ensuit, ont tôt fait de rebattre les cartes. Mais Barbie, toujours précieux, en sait beaucoup sur les méthodes de travail du CIC, qui - craignant des révélations de sa part - l’a exfiltré avec sa famille en mars 1951 via la «Rat Line», cette filière d’évasion qui permit à tant d’anciens de l’Abwehr et de la SS de trouver refuge en Amérique du Sud, avec la complicité du Vatican et, semble-t-il, de la CIA (dont les dossiers sur l’affaire ont été ouverts en 2006). Il quitte donc l'Europe pour l'Amérique latine où son expertise dans la répression des opposants sert au maintien des dictatures soutenues par les États-Unis. Devenu Klaus Altmann, le tortionnaire est ainsi d'abord aiguillé vers Buenos Aires où ses employeurs «ont prévu de faire profiter le gouvernement argentin de son expérience du renseignement». Installé à La Paz, Barbie tire parti de la solidarité des anciens SS. Puis, devenu ctoyen bolivien en 1957, il «fait acte de loyauté militaire en mettant son savoir-faire répressif au service des dictateurs boliviens». Bardé du titre de «conseiller militaire officiel pour la lutte anti-insurrectionnelle», lié aux généraux putschistes qui se succèdent, il dispose de bureaux au ministère de l’Intérieur, et modèle une véritable «Gestapo bolivienne» qui massacre les opposants. C’est au milieu des années 1960 que Barbie est approché par le BND (les services secrets de la jeune République fédérale d’Allemagne). Peter Hammerschmidt a constaté la sensibilité de l’affaire en 2010, quand sa demande de consultation des archives fut rejetée. Jouant habilement la carte du scandale médiatique, il obtient enfin une autorisation exceptionnelle et découvre que la RFA, avide de développer son influence en Amérique du Sud, entreprit de rallier des informateurs bien placés. Ainsi, l’homme qui recrute Barbie est clair: "Altmann fait penser à un bon militaire qui malgré la défaite n’a rien perdu de son esprit de soldat. […] Il a conservé son esprit patriotique, ce qui pour moi est décisif, puisque M. A. n’a pas brûlé de juifs ni participé aux autres horreurs, et n’y aurait jamais participé.» Altmann est donc engagé en mai 1966 sous le matricule V-43118 et nom de code «Adler», par un BND peu soucieux d’en savoir davantage: il était en effet aisé d’apprendre sa véritable identité en sondant les milieux nazis de La Paz. C’est d’ailleurs le même homme qui, un an auparavant, saluait l’ambassadeur allemand d’un tonitruant «Heil Hitler !» et se répandait un peu partout en propos antisémites. Peu importe: «Monsieur Altmann» ne fait-il pas état de relations dans les milieux politiques, diplomatiques, économiques et militaires ? Pour son officier traitant, l’agent, rétribué 500 Deutsche Mark par mois hors primes sur un compte de la Chartered Bank of London, est en effet «une source excellente». La mécanique s’enraye en décembre 1966: convié à une formation en Allemagne, Altmann fait état de poursuites lancées contre lui et demande à suivre l’enseignement du BND en Espagne. Au sommet du service, on ne peut plus se voiler la face, tant il semble évident que V-43118 traîne un lourd passé. L’affaire est tranchée; comme l’expérience l’a montré dans des cas similaires, il vaut mieux renoncer aux informations éventuelles de V-43118 que risquer des complications et des difficultés ultérieures. En guise de dédommagement, un Barbie-Altmann quelque peu attristé reçoit un versement de 1000 Deutsche Mark, qui s’ajoutent donc au 4300 payés jusqu’alors par les contribuables allemands. Reste que désormais le SS est précisément localisé par un service allemand. «Barbie pourra compter sur le soutien du BND", prouve Hammerschmidt. «Aucun élément du dossier n’indique qu’à un quelconque moment le BND ait songé à transmettre à la justice les informations rassemblées.» Et pour cause: devenu directeur de la compagnie maritime nationale bolivienne, «Don Klaus» détient un passeport diplomatique, ce qui renforce son attrait auprès du BND, prêt à le réactiver. Chef d’entreprise prospère, Barbie se livre à un trafic d’armes, notamment en provenance d’Allemagne. Transitant par la société Merex AG, dont il est le représentant à La Paz, ces cargaisons alimentaient divers dictateurs locaux. Toujours en cour malgré une succession de putschs et élevé au grade de lieutenant-colonel, Barbie jouera, au tournant des années 1980, un rôle clé dans le «coup d’Etat de la cocaïne» du général Meza. En août 1981, la chute de son protecteur change le cours d’un destin révélé à la face du monde dix années plus tôt. Klaus Barbie restera en Bolivie jusqu'à son extradition demandée par les Français qui, malgré les années et les difficultés, n'ont pas abandonné l'idée de le juger à Lyon, sur le lieu même de ses crimes. Extradé vers la France en 1983 avec l'aide du couple Beate et Serge Klarsfeld, quarante ans après les faits son procès peut enfin s'ouvrir. Barbie, dont les anciens camarades ont un temps fomenté l’évasion, est jugé en 1987. Il meurt quatre ans plus tard, non sans avoir rédigé des mémoires inédits qu’a pu lire Hammerschmidt. Menée tambour battant, cette enquête rigoureuse, absolument passionnante, nous éclaire sur la vie d'un criminel de guerre recruté et protégé pendant la guerre froide par des services de renseignements occidentaux aux pratiques pour le moins étonnantes et qui nous donnent la nausée! Elle montre aussi que le procès du chef de la Gestapo de Lyon a eu pour vertu de donner la parole à ses victimes. L'envoyé de l'hebdomadaire Die Zeit écrit : « Quiconque avait vu et entendu les anciennes victimes de Barbie, quiconque avait pu mesurer leurs souffrances, ne doutait pas que ce procès était nécessaire pour analyser l'Histoire et l'assumer pour le présent ». La séquence du procès de Lyon fut bien, comme l’écrit l’auteur, une «soupape pour un large débat sur le passé», que ce livre prolonge: Barbie est en effet emblématique des nazis longtemps absous au nom de la lutte anticommuniste, autant que le symbole d’une dénazification toute relative en Allemagne. Enfin, il demeure le révélateur des tourments d’une France expurgée du vieux mythe d’un passé intégralement résistant. Pour faire ce livre, Peter Hammerschmidt s'est plongé dans les archives américaines, allemandes, britanniques et françaises. Il a dû se battre contre les administrations américaines et allemandes qui ne voulaient pas lui donner accès à certains documents censés pourtant être accessibles aux chercheurs. Ce livre est le résultat d'un travail ambitieux et acharné de plus de quatre ans.Peter Hammerschmidt a soutenu sa thèse sur Klaus Barbie à l'université de Mayence en 2014.

    ACZ - Le 18 novembre 2017 à 00:20