"Vous avez dit inclassables ?" Quand le monde s'emmêle
Concert du groupe français Toad Festival Paratge, Bourdeilles (CC by Nicolas Godin)
Musiques nouvelles, transversales, expérimentales, inclassables...: Autant de qualificatifs pour désigner ces choses bizarres qu’on ne sait pas vraiment où ranger… Un cauchemar en bibliothèque ? Deuxième épisode de notre série sur les musiques pas comme les autres, autour des musiques du monde.
Les musiques dites « inclassables » se sont, dès leurs origines dans les années 1950-60, nourries de différentes traditions locales à travers le monde, et cette pratique a perduré jusqu’à aujourd’hui. Pour cet aperçu d’une conjonction entre musiques inclassables et musiques du monde, nous proposons une répartition en trois catégories : tout d’abord, les musiques ancrées dans une esthétique « inclassable » qui puisent certaines sonorités ou concepts dans les musiques traditionnelles ; ensuite, les musiques folkloriques dont on peut dire qu’elles sont « augmentées » (approche improvisée libre, utilisation de la saturation ou de sons électroniques) ; enfin, les folklores sui generis, ces musiques d’allure exotique qui semblent venir d’ailleurs mais ne s’identifient à aucune tradition réelle.
Quand les musiques inclassables s’ouvrent au monde.
Assez tôt, les compositeurs vont puiser dans la richesse des traditions extra-occidentales, que ce soit les musiques indiennes et balinaises chez les minimalistes américains (par exemple La Monte Young et Pandit Pran Nath sur l’album "Raga cycle, Paris 1972") ou des concepts de compositions venus d’Extrême-Orient chez John Cage. L’origine des musiques inclassables étant surtout occidentale, les approches harmoniques, rythmiques ou de timbre de certaines traditions font figure d’innovations. C’est la musique africaine qui a servi d’inspiration dans deux exemples récents :
Cut Hands, projet de l’artiste noise William Bennett qui propose une musique industrielle agressive basée sur les exploits métalliques des traditions percussives d’Afrique de l’Ouest.
In C Mali, nouvelle version de l’incontournable composition de Terry Riley, cette fois-ci avec l’ajout d’instruments africains.
Quand le monde s’ouvre aux musiques inclassables
Avec l’essor des moyens de communications et d’échanges des dernières décennies, certains artistes ont grandi musicalement dans un environnement double où le folklore local côtoie les dernières créations électroniques, concrètes, expérimentales… Ainsi est né le désir de renouveler la tradition en la modernisant, tout en restant en marge des esthétiques mainstream largement présentes partout dans le monde. Nous allons cette fois-ci nous intéresser à des groupes très éloignés géographiquement mais ayant une approche assez comparable :
Jerusalem in My Heart, groupe proche-oriental né au Canada ajoutant aux musiques et aux instruments du Levant une dimension électronique, utilisant tour à tour la saturation ou le collage sonore.
Toad, un des multiples projets du label La Nòvia qui revisite les folklores régionaux de France en explorant les capacités expérimentales d’instruments comme la cabrette ou la vielle à roue.
Quand le monde s’emmêle.
Au milieu des échanges entre musiques du monde et inclassables, des musiciens développent leur propre vision du monde et par voie de conséquence leur propre folklore. Ces phénomènes sans frontière n’hésitent pas à mêler, non pas les traditions entre elles, mais des éléments, instruments et sonorités de régions très diverses jusqu’à brouiller complètement les pistes quant aux origines même de leur musique.
Bien souvent, ces artistes vont inventer leurs propres instruments ou leurs propres règles d’harmonie –on peut citer à ce titre le travail théorique et musical de Harry Partch. Pour cette dernière catégorie, nous nous penchons sur deux cas particuliers :
Moondog, musicien de rue new yorkais aveugle qui est à l’origine de morceaux qui rappellent le Japon et les Amérindiens autant que la musique de chambre et les madrigaux de Monteverdi. Cet artiste emblématique a également conçu lui-même certains de ses instruments.
Biota, groupe américano-britannique évoluant au sein du label expérimental ReR, dont la musique fait appel à des sources acoustiques aussi bien qu’électroniques, jouant ainsi sur la variété de timbres. Leur jeu sur le décalage harmonique peut déranger autant qu’être d’une grande beauté.
Par Clément F. de la bibliothèque Marguerite Yourcenar