Hommage Le langage musical de Boby Lapointe
« Des chiffres et des lettres », in Les Inrockuptibles n° 61 décembre 1994, pp. 36-38 - Par Jean-Daniel Beauvallet - Photo : Jacques Aubert. A consulter à la MMP.
A l’occasion du centenaire de la naissance de Boby Lapointe, la MMP propose une petite étude sur le langage musical du chanteur, et donne à voir et écouter ses compositions.
Avec leurs allitérations, virelangues et autres tautogrammes, les textes de Boby Lapointe font le régal des amoureux de la langue française.
Ils peuvent être un simple prétexte à la rigolade en famille, ou bien fournir de la matière pédagogique de la maternelle à la classe prépa littéraire.
Mais la recherche de l’euphonie étant commune aux linguistes et aux musiciens, c’est bien lorsqu'un texte est chanté qu'on le lie à la musique. La mélodie, la nuance, le phrasé, l'accentuation, l’attaque, le rythme, donnent au texte sa texture sonore et donc sa musicalité.
Chez Boby Lapointe, les éléments constitutifs de la musique « hors paroles » (mélodie, harmonie, rythme, structure) sont souvent classiques, plaisants pour l’oreille, faciles à mémoriser : musiques à danser, musiques de fanfare, avec le charme particulier des répertoires populaires qui fait pardonner une justesse vocale parfois approximative... mine de rien ! Car tous les enregistrements témoignent en fait d’un important travail sur la sonorité, notamment des orchestrations toujours très soignées et de remarquables arrangements.
Il faut dire que Boby a baigné dans la musique depuis tout petit. Comme le souligne Jean-Daniel Beauvallet dans Les Inrockuptibles n°61 décembre 1994, « Ça se passe comme ça chez les Lapointe, en fanfare, dans un chaos d’instruments impossibles : cornet à pistons, hélicon, violon, avec tambours et trompettes ». Les références à la musique sont donc nombreuses et témoignent d’une grande culture.
Boby Lapointe, par Huguette Long Lapointe, 1980, Ed. Encre. A consulter à la MMP
Il manie avec talent l’art de l’onomatopée, reine du figuralisme musical depuis Clément Janequin et son Chant des Oyseaulx. Il utilise même sa voix comme un instrument de musique. À vent (le « pon-pon-pon-pon » de L'Hélicon), à cordes (« l’hawaïle » de La Peinture à l’huile qui reproduit le jeu « slide » des guitares hawaïennes), à percussion avec les consonnes occlusives de Ta Katie t’a quitté, ou plus doux et mélodieux avec les consonnes liquides de Méli Mélodie.
Le « Di da di doum dan din dang dang » de T’as pas, t’as pas tout dit est peut-être le paroxysme de ces figures de style, à l’instar du « two to two to two two » : le chant s’affranchit des paroles, se transforme en scat, le texte devient la matière sonore par-delà le sens des mots. D’un point de vue linguistique, si l’on se réfère au célèbre schéma de Jakobson qui met en évidence les fonctions des différents facteurs de la communication, on touche ici à la fonction poétique du langage : l’effet esthétique du message lui-même. Boby Lapointe, « [lui] que l’on traite de poète car [il fait] des vers » est bien un esthète.
« De la musique avant toute chose »… « et tout le reste est littérature », disait Verlaine. Ce à quoi réplique notre esthète et roi du kakemphaton, en un clin d’œil averti dans Monsieur l’agent : « Au violon mes sanglots longs | Bercent ma peine | J'ai reçu des coups près du colon | J'ai mal vers l'aine ».
Par Ariane Badie, Médiathèque musicale de Paris
Rendez-vous à la Médiathèque musicale de Paris pour découvrir une sélection de livres périodiques, partitions et vinyles, du 12 avril au 30 juin !
>> Boby Lapointe dans le catalogue des bibliothèques
En écoute
Dossier « Mémoire – Boby Lapointe », « La marguerite entre les dents, par Annie Morillon » in Chorus, Les cahiers de la chanson n° 2, hiver 1993, pp. 134-152 - Photos : Ed. Domens-Pézenas. A consulter à la MMP