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Les sorcières de la République
Les sorcières de la République
Edité par Seuil. Paris - paru en 2016
En France, entre 2017 et 2020. Les femmes prennent le pouvoir par la force et fondent le Parti du Cercle, qui impose ses règles. L'expérience, probablement sanglante, tourne mal, et une amnésie collective, appelée le Grand Blanc, est décidée par référendum. Quarante-deux ans plus tard, dans le Stade de France devenu tribunal du Grand Paris, s'ouvre le procès de cette époque troublée.
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Surprenant, drôle et intelligent
À mi-chemin entre le roman narratif, la fable politique et la satire sociale, entre le récit d'anticipation et l'ancrage ultracontemporain, entre l'histoire et l'Histoire, entre… Cela fait beaucoup de choses. Mais cela « hybride » un parcours qui, chez Chloé Delaume, n'est jamais rectiligne : sa biographie et sa bibliographie l'attestent. Cela fait peut-être même trop de choses aux yeux des critiques pour qui seuls comptent le rectiligne, la narration basique, les tenants et les aboutissants. Tellement de choses que la plupart des critiques ont préféré ne pas parler de ce livre – que de toute façon ils n'auraient pas lu. Ils ont eu tort. Car il s'agit là de l'un des meilleurs livres de l'année. Un grand livre. Grand par la pagination mais aussi par l'ampleur du sujet, grand par la qualité de l'écriture (rappelons que Delaume est aussi une artiste « performative » : elle lit en public ses textes, dont la scansion à l'oral est le fruit d'une orfèvrerie à l'écrit), grand par les talents habituels de l'auteure (elle excelle dans l'ironie et le sarcasme). Chloé Delaume fait preuve à travers ce livre d'un talent qu'on lui connaissait peu auparavant : un vrai talent humoristique – pas juste de l'humour ironique ou sarcastique, mais un humour drôle et qui fait rire. Ce livre présente peu de défauts, si l'on excepte quelques excès dans l'itération et l'anaphore, la rhétorique et l'abondance d'allusions érudites. Hormis "Le cri du sablier" que je considère comme un chef-d'œuvre absolu – quoique illisible aux yeux de certains – de la langue française et un peu à part dans la production de Chloé Delaume, "Les sorcières de la République" me semble être l'un de ses tout meilleurs livres. Faut-il vraiment dire « de quoi ça parle », en livrer le « pitch » pour inciter les gens à le lire ? Soit. Disons que « l'action » se situe en 2062, à travers le procès de la Sibylle (qui n'est pas une pythie, le roman explique d'ailleurs pourquoi). Il s'agit de retracer la responsabilité de la Sibylle dans le Grand Blanc, ces trois années d'amnésie collective – votée par référendum à une écrasante majorité – qui suivirent l'élection d'une femme à l'Élysée en mai 2017. L'idée initiale ressemble à du Saramago (remplacez l'amnésie collective par la cécité collective), le procès pourrait faire penser à celui de Jeanne d'Arc dans "L'alouette" d'Anouilh (remplacez le vernis dialectique d'Anouilh par la consistance réflexive de Delaume) et le contexte n'est pas si éloigné de la trame « marinière » qu'évoque le dernier livre de Wieviorka. Mais il s'agit ici d'un livre de Chloé Delaume, écrit comme elle seule sait le faire : d'une manière intelligente, originale, roborative. Et souvent drôle, par le recours à des personnages aussi improbables que Dieu (qui pleure la mort d'Allah), Artémis (qui sait chasser sans ses chiens dans les bars de la capitale), Jésus-Christ, Frigide Bardot et quelques autres (inutile de déflorer les trouvailles, je vous laisse la surprise de la découverte). Bref, un vrai roman qui demande à son lectorat de ne pas mettre son cerveau en mode pause et de ne pas bouder son plaisir.
Philippe J. - Le 15 septembre 2016 à 14:45