Accords et désaccords : la guitare sous toutes ses formes Les guitares hawaïennes
Image extraite du film Blue Hawaii avec Elvis Presley
Lorsque la guitare fut importée sur ses terres, la musique hawaïenne opéra un changement majeur qui influença la musique populaire américaine et européenne. A découvrir dans notre nouvel épisode d' "Accords et désaccords" !
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Les traditions musicales des îles d’Hawaii ont trouvé un écho remarquable dans les pratiques de la guitare au XXè siècle, fruit des échanges culturels entre Asie, Océanie, Amérique et Europe incarnés par ces terres du Pacifique.
Visité par des navigateurs espagnols, néerlandais et portugais au XVIè siècle, elles sont baptisées Iles Sandwich par le britannique James Cook qui y accoste en 1778. Royaume sous protectorat britannique à partir de 1810 et du règne de Kamehama 1er qui unifie les îles et les renomme Hawaii, l’archipel devient république sous influence américaine en 1894 avant d’être instauré 50è état des Etats-Unis en 1959.
Dès le XIXè siècle, Hawaii attise des intérêts américains et européens, et devient une terre d’immigration. Elle est aujourd’hui un creuset ethnique où cohabitent les origines asiatiques, européennes et océaniennes.
L’histoire de ces îles explique la formation de son identité musicale, les échanges successifs d’influences entre musique insulaire, culture américaine et européenne. La musique hawaiienne est un des piliers culturels de l’état, avec la danse hula, le surf et la spiritualité Ho’oponopono, alors que son rayonnement et sa diversité en ont fait une puissance unificatrice de l’expression musicale polynésienne.
Forgée sur la tradition du mele, chant rituel accompagnant la danse hula, la musique hawaienne opère un changement majeur à partir du XIXè siècle et l’importation de la guitare. Dès lors, les différentes formes de guitare des îles prennent la place des percussions et deviennent le symbole de sa tradition musicale, trouvant un succès et une influence considérables dans la musique populaire américaine et européenne qui fantasme l’exotisme de ces lointaines terres des mers du sud.
Guitare hawaiienne - steel
Au début du XIXè, les européens apportent sur l’île leurs traditions musicales (hymnes chrétiens, marches militaires), cette influence donnant lieu à la création d’une nouvelle identité musicale hawaiienne intégrant les traditions et instruments des populations immigrantes.
La guitare serait arrivée à Hawaii en 1832 par le biais des cowboys mexicains ou paniolos, et devient l’instrument majeur de l’expression musicale hawaiienne. Celle-ci commence à effectuer des échanges avec les Etats-Unis au début du XXè siècle, avec la création de la première maison de disques, la Victor Talking Machine Company, et l’essor du style hapa haole, chanté en anglais.
La présence de la culture hawaiienne aux Etats Unis prend son envol avec le spectacle de Broadway The bird of paradise (1912) et la Panama Pacific Exposition de San Francisco 1915. Les années 30 à 60 marquent l’âge d’or de la musique hawaiienne, ou du moins sa présence inévitable dans la musique populaire américaine, de l’essor de la culture tiki évoquant des tropiques factices où se rejoignent Polynésie et Amérique latine, à l’adaptation de la musique hawaiienne par les big bands et le succès de musiciens hawaiiens tels que Sol Ho’opi’i, Benny Nawahi et Lani McIntyre.
Ce vaste ensemble hétéroclite de musique dite hawaiienne se caractérise avant tout par l’utilisation de la guitare steel – kika kila, invention de Joseph Kekuku datant de 1880, jouée à plat avec un objet en verre ou métal. Son arrivée aux Etats-Unis puis en Europe dans les années 20 donne lieu à l’intégration de la « guitare hawaiienne » dans des enregistrements populaires, reconnaissable par son écho caractéristique et ses glissandi.
Electrifiée à partir de 1930 et produite par les luthiers National et Rickenbaker, la guitare hawaiienne deviendra pedal steel, slide ou lap steel, instrument essentiel du répertoire country, folk, blues et jazz.
Ukulele
La deuxième incarnation la plus notable du rayonnement de la musique hawaiienne est le ukulele.
Il dérive du machete ou braguinha de Madère, petite guitare à quatre cordes proche du cavaquinho, apporté par des immigrants portugais à la fin du XIXè siècle.
Accordé en sol-do-mi-la, il tiendrait son nom de «uku » (puce) « lele » (sautillant), en référence à la dextérité des musiciens portugais ayant adapté les mélodies traditionnelles des îles sur l’instrument… Construit dans le bois de koa, il existe en quatre tailles : soprano, concert, tenor et bariton. Joué en accords ou en fingerpicking, il est inclus dans la majorité des chansons hawaiiennes, et devient l’élément symptomatique de la vague hawaiienne dans la culture populaire américaine des années 20 à 50, son faible coût assurant son succès durant la grande dépression.
On le retrouve entre les mains de Bing Crosby ou de Marilyn Monroe dans Certains l’aiment chaud, alors que le spectacle de hula et ukulele se fait l’image type du tourisme à Hawaii . Passé de mode avec l’arrivée du rock n roll, il bénéficie aujourd’hui d’un regain d’intérêt, notamment auprès de Zach Condon (Beirut) et Stephen Merritt (Magnetic fields).
Guitare slack key
Le succès de la musique hawaiienne, diluée dans un vaste fantasme des tropiques, diminue dans les années 60, marquant le déclin de la mode tiki et le règne du rock, de la soul et de la pop aux Etats-Unis.
Les années 70 marquent le début de la renaissance culturelle hawaiienne qui se recentre sur les traditions de l’état. Son instrument phare est la guitare slack-key, restée destinée à l’usage privé et domestique, enregistrée seulement à partir de la fin des années 50 par Gabby Pahinui. Son accordage est ouvert et variable, permettant de réaliser des accords à vide. Cette pratique est accompagnée d’un intérêt pour la lutherie, avec la création du Guitar and Lute Workshop à Honolulu restaurant des instruments traditionnels et développant la fabrication de guitares slack key, dont la guitare à deux ouvertures de Keola Beamer.
Illustrée également par les musiciens Leonard Kwan, Sonny Chillingworth et Raymond Kane, cette pratique acoustique représente une identité musicale diffusée à l’international (Ry Cooder enregistre un album avec Gabby Pahinui en 1975) mais reste un marqueur régional propre, contrairement aux deux autres guitares hawaiiennes dont les usages ont subi de nombreuses adaptations.
Paris-Hawaii
« Chaque jeudi, Gino Bordin, notre professeur de guitare venait au collège par le car de la porte Saint-Cloud. (…) Le premier, il avait introduit en France la guitare hawaiienne et c’était là son titre de gloire. »
(Patrick Modiano, De si braves garçons, 1982)
Le succès de la revue Bird of paradise en Europe dans les années 20 augure de la mode de l’exotisme dont une des premières manifestations françaises sera le titre Gri gri d’amour, légende hawaiienne de Mistinguett en 1920.
Frank Ferrera, hawaiien d’origine portugaise ayant évolué dans les circuits du vaudeville américain, connaît en France un certain succès discographique avec ses instrumentaux édités par Odeon.
Les musiciens hawaiiens se produisant à Paris, Joseph Kekuku, David Kanui, Tau Moe, et Sam Ku West provoquent la fascination des guitaristes parisiens qui adaptent dès lors la technique de la guitare steel à toutes les modes de l’époque: valse, musette, tango, chanson napolitaine, paso doble, guitare manouche, jazz, mélodies classiques.
On trouve ainsi des versions « hawaiiennes » d’O Sole Mio, de La Paloma, de Tristesse de Chopin ou du Chant hindou de Rimsky-Korsakov… La guitare hawaiienne s’accompagne souvent d’autres instruments au succès éphémère tels que la scie musicale et le jazz-o-flûte, se rapprochant de sa sonorité caractéristique évoquée en ces termes par le chanteur Georgel :
« O guitare d’Hawai
Quand tu chantes dans la nuit,
Tes notes qui cachent
Ont des sons étranges
On dirait une voix qui rit »
Ses plus célèbres interprètes en sont Daniel Arnaü, Jean Nony, Edouard Jacovacci, Alexandre Manara, et surtout le virtuose Gino Bordin. Si les lutheries françaises produisent à l’époque des guitares adaptées pour ce jeu à plat, Manara et Bordin seront les seuls à posséder une National lap steel électrique, ce dernier la qualifiant de « guitare magique », « qui permet d’exprimer la mélodie du monde, tant elle ressemble à la voix humaine ». Quant au ukulele, il faisait figure d’instrument - gadget accompagnant les spectacles exotiques, et dont Maurice Chevalier faisait la promotion dans sa Méthode pour apprendre l’ukulele en 10 minutes.
Cet engouement perdure durant les années 60 avec les enregistrements de Marcel Bianchi et ses Hawaiian Beachcombers, liant jazz manouche, guitare hawaiienne et guitare corse. Plus récemment, Cyril LeFebvre, musicien disparu en 2012, féru de musique hawaiienne, fondateur dans les années 80 du Ukulele Club de Paris avec Joseph Racaille et Brad Scott, a rendu visible ce patrimoine par ses recherches, l’édition de méthodes de ukulele et la compilation des titres phares des années 20 et 30 sur l’album Paris plages d’Hawaii (2006).
Par Stéphanie P., bibliothèque Oscar Wilde
Collections patrimoniales de la médiathèque musicale de Paris La guitare hawaïenne en écoute
Les collections de la médiathèque musicale de Paris regorgent de trésors de la musique Hawaiënne en 78 tours. Certains sont numérisés et accessibles en écoute sur le portail des bibliothèques spécialisées de la ville de Paris.
Ferrera :
- Maria Mari
- Hawaiian mother o'mine
- Ramona
Kauni et Lulo :
Tahiti Beachcombers :
Parisiens (Gino Bordin, Edouard Jacovacci, Nullo Romani) :
- Hawaï marche
- Dream of Hawaii
- Coeur ardent
- Nuits napolitaines
Sélection d'albums Guitares hawaiennes
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Alfred Akapa, Sol Ho'opii, Sol K. Bright... [et al.] - Socadisc Europ' Distribution
Hawaiian favourites. 1
King Bennie Nawahi, Tau Moe, Original Hawaiians (The)... [et al.] - Socadisc Europ' Distribution
The descendants : [bande originale]
Gabby Pahinui, Keola Beamer, George Winston... [et al.] - Sony Classical - 2011
The rough guide to the music of Hawaïan : slide an...
Gaby Pahinui, Sonny Chilligworth, Sol Hoopii... [et al.], chant - World music network - [DL 2003]
The Best of Israel Kamakawiwo'ole
Israel Kamakawiwo'ole (1959-1997). Chanteur - Mercury - 2011
Virtuose de la guitare hawaiienne
Gino Bordin (1899-1977). Compositeur. Guitare hawaïenne - Grass Skirt