Festival America 2024 à Vincennes Amérique/Europe : le monde en commun
Affiche du festival America 2024
Du 26 au 29 septembre, le festival America, dédié à la littérature américaine, fait le pont entre l'Europe et l'Amérique. Un lien à approfondir grâce à notre sélection de romans.
Depuis 2002, le festival America réunit tous les deux ans des écrivain.e.s en provenance du continent nord-américain : plus de 700 auteurices ont déjà rencontré le public français. Pour la première fois, en 2024, il propose d’explorer leurs relations avec leurs homologues européens, en particulier ceux issus des pays voisins de la France : Irlande (Darragh McKeon, Sinéad Mac Aodha), Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas, Allemagne (Chris Kraus, Katharina Volckmer), Suisse, Italie, Espagne, Portugal.
Parce que les deux continents ont un monde et une culture en commun, mais aussi parce que l’Europe et l’Amérique ont une responsabilité historique dans ce que le monde est devenu : crises climatique, migratoire, économique, démocratique, sociale, culturelle, montée des extrémismes et des populismes, retour de la guerre en Europe… De grands noms de la littérature (James Ellroy, Erri de Luca…) côtoieront alors de jeunes autrices et auteurs prometteurs (Jonathan Escoffery, Jordan Tannahill, Lize Spit…) pour confronter leurs visions du monde actuel, mais aussi du monde tel qu’il se profile et, surtout, interroger la place qu’y tient leur littérature.
Qu’elle dénonce les inégalités sociales et économiques (Claire Fuller, Antoine Wauters, Dario Diofebi ou encore Deborah Willis), cherche à définir l’identité masculine (Jakob Guanzon, Michael Magee…), rende compte de l’expérience de l’exil (Donal Ryan, Hisham Matar, Omar Youssef Souleimane) ou encore se révolte contre les discriminations (Isabela Figueiredo, Birgit Weyhe…), la littérature joue, de part et d’autre de l’Atlantique, un rôle primordial pour permettre à chacun de vivre mille vies de l’intérieur. Elle peut pour cela emprunter des voies détournées, mais peut aussi coller au plus près du réel et de l’intimité de chacun. C’est cette multitude de facettes que le festival explore cette année en croisant les regards d’autrices et auteurs américains et européens.
Satire et roman social
La littérature se doit d’être un lieu où repousser les limites et interroger le monde qui nous entoure. Lorsqu’il s’agit de se raconter, de partager ses expériences, ses drames ou sa colère, l’écriture ne doit pas caresser dans le sens du poil. Il est de son devoir de bousculer, d’interpeller.
Un des pouvoirs de la littérature est celui de capter l’essence tragi-comique de l’existence et d’en faire des histoires. La forme du roman satirique en particulier est un moyen efficace pour dénoncer avec humour et ironie les contradictions et faiblesses de son époque, que ce soit le racisme dans l’Amérique des années 1970 (Plan américain de Seth Greenland) ou l’univers de la téléréalité dans un futur proche (Girlfriend on Mars, de Deborah Willis).
Dénoncer la noirceur et les failles du système est également le parti pris du roman social, très présent parmi les œuvres récentes des invités de cette édition. Sebastien Dulude, dans Amiante, décrit un american dream ouvrier en perte de vitesse, Jakob Guanzon (Abondance) met en scène des personnages détruits mais toujours combattifs dans le récit d’une vie trop dure et trop injuste, tandis que S.A. Cosby, voix incontournable du polar américain, campe un shérif afro-américain qui tente de faire régner la loi dans un comté rural sur fond de crise des opioïdes et tensions raciales, dans Le sang des innocents.
L'Histoire, des histoires
Une autre voie empruntée cette année est celle du récit historique. Elle permet de tracer le récit de vies remarquables dont la modernité défie l’écart chronologique, comme le fait Lauren Groff dans Matrix pour Marie de France, première femme de lettres à écrire en français. Elle en fait une héroïne, symbole des luttes d’émancipation des femmes, habitée par une grande puissance créative et portée par la sororité.
Maggie Shipstead, dans Le grand cercle, plante le décor dans les années 1950, où évolue une aviatrice rebelle et émancipée puis, des années après, une jeune actrice chargée de l'interpréter dans un film se penche sur son histoire pour dénouer le mystère de sa disparition. Alice Mc Dermott (Absolution) met également en parallèle deux périodes chronologiques, les années 1960 à Saigon et l’époque actuelle, avec une réflexion délicate sur les enjeux de la mémoire et la quête d’absolution. Enfin, Tyriek White nous plonge dans un réalisme magique avec ses Fantômes de Brooklyn et Laird Hunt fond la petite histoire dans la grande avec sa protagoniste Zorrie.
S’attaquer à l’Histoire est aussi une façon de poser d’autres questions sur le contexte actuel de retour de la guerre en Europe et du conflit israélo-palestinien. Plusieurs auteurs s’emparent ainsi du sujet et se demandent comment rendre compte de la guerre, des souffrances et des traumatismes qu’elle occasionne, des traces qu’elle laisse dans les esprits et les paysages, de la peur qu’elle suscite.
Aleksandar Hemon démarre Un monde de ciel et de terre à Sarajevo en 1914, quelques heures avant que le monde ne bascule, pour traverser les décennies jusqu’à un épilogue contemporain. Le récit propose un contraste saisissant entre la dureté de la guerre, décrite dans ses moindres détails, et la simplicité d’un amour immense. Anne Michaels, dans Étreintes, choisit de décrire les traumatismes de la guerre à travers le point de vue d’un survivant de la Première Guerre mondiale hanté par son passé.
Enfin, dans son roman graphique Palestine, Joe Sacco dit la violence de la guerre et la fragilité de la démocratie. C’est d’ailleurs la première fois que le festival America fait la part belle à la bande dessinée en invitant également des auteurs tels que Craig Thompson (Un Américain en balade) ou l’Allemande Birgit Weyhe (Rude girl).
Intimité
Face aux grands bouleversements de l’histoire et de la géopolitique s’affirme une tendance intimiste avec une production de romans privilégiant la finesse de l’analyse psychologique et des rapports humains. À travers leurs personnages, les écrivains explorent les conflits intérieurs, vont au cœur des émotions et des sentiments qui fondent chacun d’entre nous et établissent son droit à la différence. Leurs romans révèlent ainsi le caractère intime et profond de la condition humaine.
Nathan Hill par exemple, dans son roman Bien-être, décortique le couple et l’état de la middle-class américaine avec un panache et un humour irrésistibles. La protagoniste de Milk-Bar, de Szilvia Molnar, est une jeune mère coincée entre les murs de son appartement new-yorkais avec son bébé, plongée dans un état d’effondrement physique et émotionnel jusqu’à ce que l’amitié avec un voisin âgé ne l’aide à rompre sa solitude. Enfin, Ce que je sais de toi d’Eric Chacour est un roman sur la confusion des sentiments et sur la distance ambiguë qui sépare une amitié intense de l’amour.
Intimes ou mondiales, les histoires dont s’emparent les autrices et auteurs américains et européens nous permettent d’envisager le monde de demain dans toutes ses subtilités… et de goûter la littérature dans toutes ses saveurs !
Voir toute la sélection (81 romans)
En savoir plus sur le festival America : https://www.festival-america.com/
Par Alice B., bibliothèque Vaclav Havel, Valéria LG. , bibliothèque Jacqueline Dreyfus-Weill.