Saison France-Portugal dans les bibliothèques À la découverte du cinéma portugais
Image extraite du film Les Mille et une nuits de Miguel GOMES (2015)
Dans le cadre de la saison France-Portugal, les bibliothèques de la ville de Paris organisent plusieurs événements tout au long du mois de mai. A cette occasion, retour sur les grandes étapes et les grandes œuvres du cinéma portugais.
Saison France-Portugal dans les bibliothèques À la découverte du cinéma portugais
Des débuts difficiles
C’est un euphémisme que d’écrire que le cinéma portugais connut des débuts difficiles. Le pionnier en la matière, Aurelio da Paz dos Reis, commerçant de plantes et de graines natif de Porto, et féru de photographie, acquiert du matériel auprès d’un fabricant anglais en 1896. II se lance avec deux amis, dont l’un travaille dans un établissement de lingerie « Camisaria Confiança », et donne ainsi naissance au premier film portugais : Sortie des ouvriers de la chemiserie Confiança. Il a alors pour ambition de faire découvrir le cinéma au Brésil, mais face au peu d’enthousiasme rencontré sur place, il rentre au Portugal désillusionné et arrête le cinéma pour retourner à ses affaires et à ses photos.
Quelques années plus tard, en 1904, un photographe professionnel prestigieux, Joao Freire Correia, fait construire avec des associés le premier cinéma de Lisbonne. Il fonde en 1909 la première société de production, la Portugalia Film, et fit construire chez lui un laboratoire et un studio. On y réalisa la première fiction, biographie d’un bandit qui avait terrorisé Lisbonne (Les Crimes de Diogo Alves, Joao Tavares, 1911). Le film rencontra un grand succès public mais les recettes revenant aux distributeurs et non au producteur, ce fait, entre autres échecs, mit fin aux activités de la compagnie.
À la même époque, une autre compagnie de production voit le jour : la Filmes Ideal, créée par Julio Costa. Première société portugaise à combiner la production, la distribution et l’exploitation, elle n’eut cependant pas plus de chance dans son entreprise. En effet, en 1911, un incendie détruit son studio et tout son patrimoine filmique et matériel.
1930, fin du muet et arrivée du parlant
Dans les années 1930, des changements s’amorcent pour contrecarrer le mauvais sort qui semblait s’acharner jusqu’ici sur le cinéma portugais. De nombreuses personnalités de milieu universitaire, du journalisme, de la critique cinématographique et des arts plastiques amorcent la transition vers le cinéma moderne. Sortent ainsi Voir et aimer de Chianca de Garcia, ancien journaliste sportif et La Châtelaine de Berlengas d’Antonio Leitao, lui-aussi venu du milieu journalistique. Joao de Almeida e Sa, médecin, développe lui, un axe documentaire, en filmant les habitants d’Alfama, un des plus vieux quartiers de Lisbonne. La période est cependant essentiellement marquée par la sortie de deux films en 1930 de José Leitao de Barros, écrivain, peintre, journaliste et professeur : Lisbonne, chronique anecdotique et Maria do Mar.
Une page se tourne également avec le tournage des derniers films muets en 1931 et l’arrivée du cinéma sonore et parlant, avec La Severa de José Leitao de Barros. Comme la presque totalité des films des années 20, La Severa esttourné en étroite collaboration avec la France. Leitao de Barros écrit cette adaptation du mythe du « Marialva », issu d’un livre de Julio Dantas, et le découpage avec Jacques Bernard Brunius et René Clair. Seuls les extérieurs seront tournés au Portugal, et les intérieurs, enregistrement et mixage du son effectués dans les studios d’Epinay-sur-Seine.
Le succès entraîne la fondation en juin 1932 de la Tobis Portuguesa, société cinématographique réunissant les enthousiasmes de tous bords. Il lui est cependant difficile de trouver les moyens d’assurer une production continue. Le cinéma commence néanmoins à faire parler de lui et à être considéré. Loin de cette agitation un jeune homme de 20 ans tourne Douro, Faina Fluvial, qui connaît une sortie furtive et un accueil froid par les spectateurs et les critiques. Ce jeune homme, c’est Manoel de Oliveira.
En 1933, sort le premier film parlant entièrement tourné dans le pays, La Chanson de Lisbonne de José Cottinelli Telmo. En effet, le Portugal ne dispose pas avant cette date de structures techniques et financières pour assurer toute la production d’un film dans le pays. Le film marque néanmoins la culture portugaise et devient un symbole de la comédie cinématographique.
Dictature et révolution
Après l’arrivée au pouvoir de Salazar en 1933, 1935 marque la création du Secrétariat de la propagande nationale dirigé par Antonio Ferro, un passionné de cinéma portugais. Il prétend à un cinéma de qualité et argue que le secrétariat permet au cinéma national de prendre son essor… mais il reste cependant soumis à la censure. Cette instance marque aussi l’émergence d’un cinéma de propagande, avec par exemple La Révolution de Mai en 1937, dont le scénario est signé par Antonio Ferro lui-même, qui utilise le pseudo de Jorge Afonso. Le réalisateur, Antonio Lopes Riubeiro n’engage pas plus son nom et utilise le pseudo de Baltasar Fernandes.
Pendant la guerre, les instances du pays cherchent à défendre l’unité nationale. Hormis les films liés à l’État, la production est de faible qualité ; se conformant à la « loi des 100 mètres », un décret de 1927 qui imposait la présentation d’un court métrage national avant chaque programme étranger. Ce décret permet à Manoel de Oliveira de présenter deux petits films On fabrique déjà des voitures au Portugal et Miramar, plage aux roses.
En 1948, une loi de protection du cinéma national est promulguée. La politique d’État relève cependant plus du mécénat et les subventions ne sont de toutes façons pas très élevées. En 1955 aucun film n’est produit et en 1956, la naissance de la radiotélévision portugaise accapare l’attention des pouvoirs publics, ce qui contribue à la décadence du cinéma dans tout le pays. Aucune vraie politique de cinéma n’est menée et la loi a éliminé les capacités de production dans le pays.
Dans les années 1950, le monde du cinéma se politise et une opposition au régime et à sa politique culturelle se manifeste dans plusieurs secteurs. Cela permet à une nouvelle génération de cinéastes de voir le jour au début des années 60. Au-delà des stratégies esthétiques, ils font se rencontrer dans leurs œuvres une certaine lucidité avec les problématiques de la réalité, notamment la frustration et le manque d’espérance. Le mouvement connaît deux phases, l’une très identifiée par les productions Cunha Telles, de 1963 à 1966. Deux œuvres initient ce nouveau tournant du cinéma : Les Vertes Années de Paulo Rocha en 1963 et Belarmino de Fernando Lopes en 1964. L’élan donné par les productions Cunha Telles entraînent une rupture en créant un cinéma non aligné sur le discours du pouvoir. Aucun ne parvient à rencontrer le succès auprès du public, et l’échec de la maison de production met fin à cette première période de renouveau du cinéma portugais. La seconde veine correspond à la production du Centre Portugais du Cinéma, subventionnée par la Fondation Calouste Gulbekian à partir de 1971, jusqu’à la période révolutionnaire entre 1972 et 1975.
Après la révolution
Après la révolution du 25 avril 1974, les films documentaires prolifèrent en raison de l’effervescence de la société portugaise. Le film de fiction révolutionnaire prend trois tendances : l’analyse du passé récent et analyse de l’État Nouveau au regard du présent comme dans La Faute, d’Antonio Vitorino de Almeida ; l’incursion dans les milieux ruraux et l’histoire de la révolution. En 1975, Joao Cesar Monteiro pointe dans Que ferai-je de cette épée ? l’incertitude à l’égard du futur national. Mon nom est… de Fernando Matos Silva, en 1978 questionne lui la nouvelle réalité en regard des rêves révolutionnaires ; puis, Que Dieu le veuille, en 1981, d’Antonio Pedro Vasconcelos, évoque l’intériorisation de la désillusion, une sorte de « gueule de bois » révolutionnaire.
Le contexte change à partir des années 1980. Une importante visibilité internationale permet au cinéma portugais de se renforcer et de s’étendre. Les festivals internationaux renommés accueillent les premières rétrospectives d’auteurs et présentent des films portugais. La critique étrangère découvre le cinéma portugais et construit une image du cinéma portugais et du Portugal dans le monde cinématographique. La critique, notamment française et italienne, commence à émettre l’hypothèse d’une « école portugaise ». Elle valorise et apprécie particulièrement son caractère artisanal, la reprise de la tradition du cinéma d’auteur, son anti-naturalisme, la théâtralité et une constante réflexion sur l’histoire et l’identité portugaises. À l’intérieur du pays, autre son de cloche, on reproche au cinéma portugais d’être fait pour un regard étranger. Amour de perdition de Manoel de Oliveira, cristallise le plus ce clivage. Violemment attaqué au Portugal par le public et les critiques, il est acclamé à l’international. Après l’époque de la solidarité révolutionnaire, des points de rupture émergent au sein du groupe fondateur du nouveau cinéma.
Le cinéma d’auteur émerge de nouveau derrière l’engagement politique, et une scission s’opère entre le prestige de la reconnaissance internationale et le succès ou non auprès du public portugais. Des auteurs comme Antonio Pedro Vasconcelos et José Fonseca e Costa refusent d’être affiliés à l’esthétique de Manoel de Oliveira et à l’école portugaise et rencontreront des succès nationaux comme Le Lieu du Mort (1984) de Anonio Pedro Vasconselos et Kilas, le mauvais gars de José Fonseca et Costa (1981, dans lequel un personnage veut savoir « Pourquoi les films portugais sont tellement ennuyants ? »). Les années 80 marquent un tournant entre la visibilité internationale, la rupture esthétique décisive dont le film de Manoel de Oliveira est le représentant et l’émergence d’une nouvelle génération.
Dans les années 1990, des changements institutionnels et législatifs en grande partie liées à l’adhésion du Portugal à la CEE en 1986 changent encore un peu plus le paysage cinématographique. La réforme de l’Institut Portugais du cinéma en 1992 en Institut Portugais de l’Art Cinématographique et Audiovisuel motive une discussion plus élargie sur la nécessité de créer au Portugal une industrie qui ciblerait l’intégration dans le marché de l’Union Européenne et l’accès au fond communautaire du programme MEDIA. L’État subventionne à la fois un cinéma populaire et commercial au même titre que le cinéma artisanal d’auteur. Ce dernier s’exporte dans le monde et obtient des investissements étrangers. Par ailleurs, la production nationale s’accroit sous l’impulsion de trois facteurs : la continuité des filmographies de cinéastes des générations antérieures, une attention particulière portée à la politique de premières œuvres qui permet l’émergence d’une nouvelle génération (Pedro Costa, Teresa Villaverde, Joaquim Sapinho) et le renforcement de la diversification des genres comme le documentaire ou le court-métrage où s’affirment des cinéastes qui arriveront au long métrage par la suite.
L’adhésion à la CEE, marque aussi le début de transformations politiques, économiques, sociales et culturelles dont Joao Botelho s’empare dans Temps Difficiles. Beaucoup de films font état de la nouvelle réalité européenne du Portugal dans les années 1990. Pour la première fois de son histoire, le Portugal se retrouve confronté à ses limites territoriales et ancré dans une Europe où il n’occupe que la périphérie. La thématique du retour à la terre est particulièrement explorée, comme me retour à la réalité d’un petit pays comme dans Ici sur la terre de Joao Botelho (1993), La fin du monde de Joao Mario Grilo (1993) ou Au Sud, Fernando Matos Silva (1995). Une autre thématique qui émerge est celle de la jeunesse, avec l’apparition d’enfants ou de jeunes comme personnages principaux, notamment chez les cinéastes de la nouvelle génération comme Pedro Costa et Teresa Villaverde.
En 2008, la crise marque durablement le Portugal. Elle trouve encore écho dans le film de Miguel Gomes, Les Mille et une nuits, tourné pendant un an, entre l’été 2013 et l’été 2014. Le cinéaste a parcouru le Portugal pour filmer les mille et une histoires d’un pays en crise (sorti en 2015, l’œuvre s’articule en trois films). Afin de permettre une prise de distance par rapport à une réalité désenchantée, il l’inscrit dans la tradition des Mille et une nuits, revendiquant par la même, la narration d’histoire comme le seul moyen de donner un sens à une réalité dépressive et de rester en vie.
Sources :
- Le cinéma portugais : histoire, culture et société 1963-2015, Paris : L'Harmattan , 2019 : Ana Vera
- Le cinéma portugais : Paris : L’Equerre : Centre Georges Pompidou, 1982