Image extraite du film "Quelques jours dans la vie d'Oblomov" de Nikita Mikhalkov (1980)

Chaque année, le troisième vendredi de mars a lieu la Journée internationale du sommeil. Cette journée, qui existe depuis 2000, est portée en France par l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance  et aux États-Unis par la World Sleep Society.

Elle se propose de sensibiliser le public à l'importance du sommeil, favoriser le dépistage des troubles liés au sommeil (insomnies, somnambulisme, narcolepsie...) tout en poursuivant le travail de reconnaissance de ces troubles comme éléments de santé publique.

Nous vous proposons ici une exploration sur la thématique du sommeil dans la fiction, à travers 10 œuvres où cet état a une place particulière.

Le sommeil comme performance artistique

À la fin des années 70 l’artiste Sophie Calle, au retour d’un long voyage, s’inquiète de sa solitude et que son lit soit vide. Elle désire le voir occupé «24h sur 24, comme ces usines où on ne met pas la clé sous la porte ». Durant une semaine, du dimanche 1^er avril au lundi 9 avril 1979 elle demande ainsi à des amis, à des connaissances, à des inconnus de venir dormir dans son lit. Elle prend des photos d’eux et les soumet à un questionnaire. Cela donnera naissance à une exposition et par la suite au coffret «Les dormeurs» regroupant photos et interviews. Journal « extime » ou séance de psychanalyse, cette performance rend public un acte privé tel que le sommeil et questionne notre notion de l’intimité, du vide, des traces qu’on laisse mais aussi de nos pratiques nocturnes.

Dormir pour résister

S’éloigner du monde, renoncer à toute ambition, s’alléger de la charge mentale et de toute injonction à la réussite : le sommeil comme forme de résistance et de rébellion, mais aussi comme fuite de la réalité est l’élément commun de deux romans. Dans «La femme qui décida de passer une année au lit» Sue Townsend campe une mère de famille exaspérée par le manque de reconnaissance et un vide existentiel, qui décide d’un coup de ne plus sortir de son lit.

De manière tout à fait similaire en 1859 Ivan Goncharov  mettait en scène Oblomov, doux rêveur un peu fantasque. Incapable de prendre une quelconque décision, contemplateur des possibilités infinies de rêverie, le protagoniste du roman est bien décidé à ne pas s’éloigner de son canapé, dans une forme presque héroïque de résistance passive aux injonctions de la vie active.

Un sommeil réparateur

Mais le sommeil peut aussi être réparateur, productif même.

La protagoniste du roman de Ottessa Moshfegh «Mon année de repos et de détente» souhaite se donner une deuxième chance, se renouveler à travers une cure de sommeil très poussée, jusqu’à effacer sa personnalité actuelle et se réveille autre, prête à une nouvelle vie. Avec l’aide d’une psychiatre complaisante, elle met progressivement en place son marathon de sommeil restaurateur.

Un sommeil qui nous échappe

Et si le sommeil ne vient pas ? Une vaste production littéraire s’empare de ce sujet, à croire que les écrivains soient assez souvent de grands insomniaques.

Dans «La maison du sommeil» Jonathan Coe  signe une intrigue sur deux niveaux chronologiques autour de la mystérieuse demeure Ashdow, où l’énigmatique Docteur Dudden mène des expériences sur le sommeil et l’insomnie.

Marie Darrieussecq, insomniaque au long cours, dans son récit «Pas dormir» raconte vingt ans de recours désespérés et curieux, parfois très drôles, à toutes sortes de remèdes  et se pose surtout une question «Qui est-ce qui ne dort pas quand je ne dors pas? » Une enquête littéraire, une autobiographie d’un nouveau genre, entre voyages, quête de soi mais aussi des autres.

Insomniaque aussi le personnage du roman «L’insomnie» de Tahar Ben Jelloun. Et si le seul remède à vos insomnies était de commettre des meurtres ? Entre fantaisie burlesque et polar, l’auteur aborde avec humour des sujets délicats: l'euthanasie, la corruption et la complexité de la société marocaine.

Sur le même sujet, Gaëlle Josse vient tout juste de publier un recueil de microfictions : « À quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? » Ces courts récits mettent en scène des « naufragés de la nuit », des noctambules dont on capture les pensées autour de vies possibles ou passés, réussies ou manquées.

Fuir le sommeil

Les nuits à Blenkinsop Castle ne sont pas de tout repos non plus. Flore Vesco, dans son roman « D’or et d’oreillers » nous livre une réécriture sensuelle et féministe du conte de la princesse au petit pois. La sorcellerie se mélange à la découverte de la sensualité, avec une protagoniste rusée et maitresse de son destin. Mais il est aussi question de consentement, de classes sociales, de sensualité, d'émancipation et de complicité. Parce que, finalement, dans l'amour et le respect, on peut grandir ensemble, plus fort.

Le temps de veille nocturne est un temps suspendu, précieux, comme pour la protagoniste de la longue nouvelle de Haruki Murakami «Sommeil». Durant 17 nuits, une femme piégée dans une  routine domestique qui se vide de sens, ne dort pas. Elle lit. Et pas n’importe quoi : «Anna Karénine». Ces heures volées aux tâches ménagères deviennent alors un temps privé, secret, uniquement à soi. Fuir à son tour le sommeil qui nous fuit, pour se retrouver et se réconcilier avec soi-même.