Image extraite du film The Substance de Coralie Fargeat (2024)

À l’occasion de l’édition 2025 de l’Étrange Festival, découvrez comment les femmes se sont peu à peu accaparé le cinéma de genre avec brio, et explorez notre sélection de films.

Longtemps considéré comme marginal et réservé à un public masculin, le cinéma de genre – comme la littérature du même nom : science-fiction, fantaisie, polar – a peu à peu conquis le public féminin. Disons plutôt que les femmes se sont peu à peu approprié ces genres malgré les stéréotypes qui y ont longtemps eu cours. Les personnages féminins, façonnés par le male gaze, n’y évoluaient que dans des rôles spécifiques : objets de désir ou faire-valoir des héros.

La (lente) évolution des mœurs et des attentes du public a contribué à l’émergence de scénarios plus originaux, apportant aux actrices des rôles dignes de ce nom. Mais c’est surtout l’arrivée de réalisatrices sur ce terrain qui a contribué à faire bouger les lignes. Cependant, le chemin a été long depuis la défricheuse Ida Lupino, singulièrement en avance sur son temps en tant que femme et artiste, jusqu’à la Palme d’Or ou au Prix du scénario attribués au festival de Cannes 2024 – notamment pour The Substance de Coralie Fargeat.

L’arrivée timide des réalisatrices dans le cinéma de genre a été conditionnée par un dispositif qui ne leur était pas favorable, et par une forme d’autocensure des réalisatrices elles-mêmes vis-à-vis du genre, où elles ne se sentaient pas légitimes. Une Palme d’or attribuée à Julia Ducournau et un prix du scénario remporté par Coralie Fargeat ont-ils changé radicalement la donne ? Elles ont en tout cas permis un éclairage nouveau sur le rôle des réalisatrices dans le cinéma de genre. Cependant, et comme l’ont souligné ces réalisatrices, produire des films de genre demeure difficile en France, et plus encore pour les artistes femmes. Malgré leurs récompenses, il semblerait qu’elles aient éprouvé des difficultés à financer leur deuxième film. Coralie Fargeat a ainsi choisi une production étrangère dès son premier film, Revenge, les États-Unis étant plus habitués au film de genre. Selon elle, ce type de cinéma en France est à la fois rejeté par les institutions publiques et par les investisseurs commerciaux.

Autre exemple de production internationale : les films de Lucile Hadžihalilović, qui flirtent avec le genre sans s’y inscrire complètement. Son univers singulier et onirique a de quoi déconcerter. Cette réalisatrice, ancienne collaboratrice de Gaspard Noé, a trouvé un écho auprès du public, notamment à l’Étrange Festival, qui propose régulièrement ses films. La Bouche de Jean-Pierre, réalisé en 1996 et présenté dans la sélection « Un certain regard » à Cannes, fait d’ailleurs partie de la filmographie « 30 ans, 30 films » concoctée en collaboration avec l’équipe de la bibliothèque André Malraux.

Les réalisatrices se voient plus rarement confier des projets à gros budget ou internationaux. Elles sont souvent cantonnées au domaine du film documentaire ou d’animation, certes talentueux, mais qui demeurent plus faciles à financer, tout en restant paradoxalement moins visibles auprès du public.

Si les lignes doivent bouger, ce sera aussi par l’intermédiaire des institutions et des associations féministes, qui font pression pour que les femmes obtiennent la visibilité qu’elles méritent, accèdent aux mêmes droits et salaires que les hommes, et aient l’opportunité de porter des regards singuliers. À ce titre, Coralie Fargeat est membre du collectif 50/50, qui milite pour l’égalité entre les femmes et les hommes et la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel.

En 2024, le CNC dénombrait 24,2 % de films strictement réalisés par des femmes (contre 25 % en 2023). En revanche, la part des films co-réalisés par des femmes passe de 2 % à 2,6 %. Le budget moyen des films réalisés par des femmes demeure par ailleurs le plus souvent inférieur à celui des hommes, avec une différence de 25 à 39 % en 2023 et 2024.

Il semblerait que les réalisatrices – et pas seulement celles qui œuvrent pour le film de genre – n’aient qu’un rêve : qu’on ne leur parle plus de leur genre lorsque l’on évoque leur travail. Qu’on ne parle plus de « films de femmes », mais simplement de films, ce qui ne sera possible que lorsque toutes les inégalités évoquées ne seront plus d’actualité. En attendant, découvrons leurs univers – effrayants, haletants ou poétiques –, qui n’ont rien à envier à ceux des hommes !

Lucile Hadžihalilović en 2022 lors de la Mostra de Valence (Wikimedia Commons).

Après une formation en histoire de l’art, Lucile Hadžihalilović intègre l’IDHEC (devenu la Fémis) en 1983. Son attrait pour les films de genre détone dans une école qui privilégie alors un cinéma d’auteur. C’est dans ces années d’apprentissage qu’elle rencontre Gaspar Noé, son compagnon de route. Ensemble, ils fondent les Cinémas de la Zone et collaborent à leurs films respectifs au fil des années 1990 (Carne, La Bouche de Jean-Pierre, Seuls contre tous). Ses films jouent avec le genre sans y appartenir complètement. Son univers onirique et inquiétant est plus proche du conte, ce que son dernier film, La Tour de glace (librement adapté de La Reine des neiges), devrait confirmer.

En attendant la rétrospective qui lui sera consacrée à la cinémathèque française du 15 au 21 septembre, vous pourrez assister à la première de son dernier film, La Tour de glace, en sa présence, le 8 septembre à l’Étrange Festival.

Voir toute la sélection (27 films)

Retrouvez toute la programmation de l'Etrange festival, qui se déroule cette année du 2 au 13 septembre au Forum des Images.

Lire également notre article sur les 30 ans de l'Etrange festival, en 2024.

Par Karine J., bibliothèque André Malraux