Instruments insolites #2 Instruments de verre
L’emploi du verre en musique est ancien, aussi ancien peut-être que les premiers objets en verre élaborés en Mésopotamie. Percuté ou frotté, il a donné lieu à de multiples inventions, dont deux sont toujours jouées aujourd’hui. Deuxième épisode de notre série "Instruments insolites".
« Aucun des instruments que je connais n’a un son aussi céleste. J’ai pensé qu’il y avait un ange dans la boite » écrit en 1760 le poète anglais Thomas Gray, après avoir entendu jouer sur des verres à eau. C’est bien la quête cette sonorité limpide et céleste qui pousse les inventeurs à chercher des successeurs au « verrillon » (ou séraphin, ou orgue des anges), de l’armonica de verre au cristal Baschet en passant par le Clavicylindre, l’Euphone, le Glasscord, le Matthauphone ou le Pyrophone !
L'armonica de verre (glass armonica)
C’est en 1761, pour améliorer la musicalité et la jouabilité des verres à eau, que Benjamin Franklin invente l’Armonica. Exit les coupes remplies d’eau, Franklin enfile des bols de différentes tailles (et donc de différentes hauteurs sonores) sur un axe qui tourne sur lui-même grâce à une pédale ou un moteur électrique ; l'interprète frotte les rebords des bols avec ses doigts mouillés pour obtenir le son (un clavier sera ultérieurement introduit sur certaines versions).
Cet instrument va connaître un succès fulgurant durant près de soixante ans sur tout le continent européen . En phase avec les évolutions artistiques et intellectuelles du siècle des Lumières finissant et du romantisme naissant, artistes, scientifiques, médecins et philosophes s’y intéressent. Les compositeurs de l’époque - Beethoven, C.P.E. Bach, Hasse, Galuppi, Pleyel et bien d’autres - s’en emparent . Mozart écrit pour lui une de ses dernières pièces de musique de chambre, l’Adagio et Rondo K617.
Le verre était particulièrement apprécié à cette époque pour son timbre et ses couleurs aériennes, célestes, puisqu’on cherchait à faire la musique des sphères. Dans la période pré romantique, cet instrument correspondait parfaitement à la sensibilité exacerbée des personnes sur lesquelles il avait un effet psychologique extrêmement fort. On dit que Marie-Antoinette elle-même en jouait.
Il disparaitra pourtant totalement vers 1835 : couteux, difficile à jouer et manquant de puissance, il est aussi accusé de rendre fou !
Quelques passionnés l’ont toutefois relancé à la fin du XXème siècle : Jean-Claude Chapuis est historien des sciences et musicien. Il fabrique des harmonicas de verre depuis 1988 et a construit un orchestre d’instruments de musique de verre - « TransparenceS - qui s’est produit dans le monde entier. Il est l’auteur d’un ouvrage de référence sur le sujet.
- Jean-Claude Chapuis présente le glass armonica
- Façonnage et accordage des cloches en verre
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Cristal Baschet
On trouve aux alentours de Paris un atelier aux objets bien étranges, où se raconte l’histoire de deux frères inventeurs, François et Bernard.
En avril 2019, deux bibliothécaires se sont rendus à Saint Michel sur Orge à l’atelier des frères Baschet afin d’y rencontrer Agathe Hurtig Cadenet et Pierre Cuffini de l’association des structures sonores des frères Baschet (François et Bernard sont décédés, respectivement en 2014 et 2015).
C’est dans le courant de l’année 1952 que les frères Baschet décident de créer un nouveau type d’instrument de musique qui révolutionnerait la facture instrumentale. Ils consacrent plus de 4 ans à des recherches en acoustique et plus particulièrement sur l’irradiation dans l’air des sons internes des métaux, ceux-ci étant ordinairement inaudibles.
De cette étude nait le cristal Baschet, mais aussi plusieurs autres instruments, aux sonorités originales, modernes et jusque-là encore jamais exploitées. Pour valoriser ces « sculptures sonores », les frères Baschet s’associent aux musiciens Yvonne et Jacques Lasry et fondent en 1956 « Les Structures Sonores Lasry Baschet ».
À l’origine, le clavier du Cristal Baschet était vertical et les diffuseurs de simples vessies gonflables, mais l’instrument n’a depuis cessé d’évoluer ; il possède aujourd’hui un clavier horizontal constitué de 54 baguettes de verre que le musicien caresse avec les doigts humidifiés. La vibration du verre est transmise à un « sommier » (plaque de métal lourd) par l’intermédiaire de tiges d’acier de longueurs variables. La longueur de ces tiges détermine la hauteur de la note tandis que le sommier propage les vibrations aux « diffuseurs » qui les répercutent à leur tour dans l’air. L’amplification du son se fait donc au moyen de cônes en fibre de verre et d’une feuille métallique de grande taille, découpée en forme de flamme. Les formes, tailles ou matériaux (acier, inox, fibre de verre ou de carbone) de ces diffuseurs peuvent varier, déterminant ainsi le timbre de l’instrument.
Une sourdine actionnée à l’aide d’une pédale est souvent rajoutée, ce qui permet de contrôler la résonance métallique de la grande feuille d’inox. Le cristal permet aujourd’hui d’obtenir toute une série de sons, les modèles actuels pouvant même être utilisés en percussion et agrémentés de nombreux résonateurs tels que les « moustaches » qui, placées sous l’instrument à droite, augmentent la puissance sonore dans les aigus. Les deux versions actuelles les plus élaborées et les plus courantes couvrent pour l’une 4,5 octaves (DO 0 à SOL 5) et pour l’autre de 5 octaves (FA 0 à SOL 5).
Plus de 500 pièces uniques sont sortis des ateliers Baschet depuis 1952 et une vingtaine de sculptures monumentales ont été réalisées entre 1968 et 1988. Lancé dans les années 80, l’Instrumentarium Pédagogique Baschet permet une exploration ludique et collective, sans formation préalable, de l’univers musical, rendant ainsi concret le souhait des frères Baschet de rendre la pratique des arts sonores accessible à tous,
Aujourd’hui, c’est au centre culturel Baschet que les curieux sont invités à frotter, gratter, caresser et écouter une centaine de ces structures sonores « interdites de ne pas toucher » dont le fameux Cristal Baschet qui se joue au doigt mouillé.
De nombreux artistes tels que Vanessa Paradis, Radiohead, John Cage, Gorillaz et Damon Albarn, Tom Waits, Marianne Faithfull, Bob Wilson, Émilie Simon (La Marche de l’Empereur), Daft Punk ou encore Arthur H ont été inspirés par le son envoutant de cet instrument et ont fait le choix de l’intégrer à leur univers sonore .
- Un diaporama sur le Cristal Baschet réalisé en 2012 à l'ESRA.
- Pierre Cuffini joue d’un Cristal Baschet "Dumont"
- Catherine Brisset interprète Rapsodie de Budapest sur le cristal du Musée de la musique (Paris)
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Par Patrick S. (Bibliothèque Mohammed Arkoun)