Centenaire de la naissance de la cantatrice Maria Callas et la France
A l'occasion du centenaire de la naissance de Maria Callas (1923-1977), nous nous proposons de mettre en lumière les liens privilégiés qu’entretenait la grande cantatrice avec la France.
Diva parmi les divas, impératrice, reine, déesse, sorcière, magicienne – divine en somme. Elle a traversé ce siècle comme un grand aigle solitaire dont les ailes déployées nous ont caché pour toujours celles qui lui survivront.
Yves Saint-Laurent
Callas et la musique française
La première rencontre de Maria Callas avec notre pays a lieu très tôt et ce par l’entremise de la musique française qu’elle étudie durant sa jeunesse. Sa première professeure de chant au Conservatoire national de Grèce, Maria Trivella, est en effet passionnée par cette école très en faveur avant le deuxième conflit mondial. Elle fait répéter à la jeune Callas, en plus de la tradition italienne, des airs de Georges Bizet, de Massenet, ou encore d’Offenbach. La grande cantatrice se rappellera de cette époque heureuse où elle se perfectionnait et où l’influence de l’auteur de la fameuse Habanera semble avoir été déterminante :
Je dois beaucoup à Bizet. Ce fut sa Carmen qui m’ensorcela pour la première fois, et qui en fait décida peut-être du cours de ma vie. […] Et quand ma famille ne pouvait plus le supporter, j’enchaînais avec l’aria de Philine « Je suis Titiana », de Mignon.
La spécialisation dans la musique lyrique italienne de Callas vient d’ailleurs plus tard et semble due à l’influence de sa seconde professeure de chant, Elvira de Hidalgo :
C’est Hidalgo qui m’a initiée au véritable Bel Canto. Par elle, j’ai pu remonter aux origines du grand opéra (entendons l’opéra italien d’avant Verdi) et avoir la notion de ce qu’était, par exemple, l’art d’une Malibran.
La Callas délaisse alors quelque peu l’opéra français pour se consacrer avec bonheur aux musiques de Bellini, Donizetti, Rossini… Elle reviendra cependant à ses premières amours, comme nous le verrons plus loin.
« Le plus grand spectacle du monde »
En 1958, Callas vit des heures difficiles après l’échec de son dernier concert italien. Pour sortir de cette période compliquée, elle décide de remonter sur scène, à Paris, lors d’une prestation exceptionnelle. Ce sera le légendaire récital du 19 décembre, dirigé par Georges Sébastian et immortalisé en Eurovision. On parle du « plus grand spectacle du monde » en présence du président René Coty lui-même.
Callas obtient un cachet de 5 000 000 Fr, le plus gros de toute l’histoire de l’Opéra de Paris, somme qu’elle donne gracieusement aux œuvres de la Légion d’Honneur. Afin de laver l’affront italien, elle chante le grand répertoire italien avec Tito Gobbi, Albert Lance et Jacques Mars : Bellini, Verdi et Puccini. Elle triomphe et le public, conquis, est au paroxysme du délire.
Callas, émue par l’accueil que lui réservent les français, résumera cet épisode un peu plus tard :
Après mon affaire de Rome, les Français ont été les seuls à essayer de comprendre ce qui m’était arrivé… J’étais tellement touchée par le comportement des journalistes français que j’ai juré de venir chanter pour vous remercier. Mon seul souhait est de chanter mieux que je l’ai jamais fait auparavant… D’ailleurs, j’ai appris le français bien avant l’italien.
La diva renaît donc dans la langue italienne mais elle a déjà un nouvel objectif : reprendre le chant français.
La collaboration avec Georges Prêtre : Les deux disques, Callas à Paris I et II
Cette nouvelle passion, c’est avec le chef Georges Prêtre qu’elle va la concrétiser… A partir de 1961, Callas vit à Paris. Lors d’une séance studio, elle a la possibilité d’apprécier ce jeune musicien que d’aucuns considèrent comme l’un des meilleurs de sa génération. Guidé par Walter Legge, le patron d’Emi, la cantatrice enregistre, salle Wagram, entre fin mars/début avril, un récital entièrement consacré à la musique française. Gluck, Bizet, Saint-Saëns sont convoqués. Son interprétation de trois airs de Samson et Dalila est particulièrement remarquable.
La critique ne s’y trompe pas et encense la prestation de Callas. Marcel Claverie, écrit, par exemple dans son journal, le Quotidien de Paris :
Callas n’est pas une voix, c’est un personnage. Et ce personnage a une voix. Autour de cette voix, des controverses passionnées. On entend « la plus belle du monde », « sublime », « divin », mais aussi « elle tremble », « elle crie », c’est poitriné ». Les écoles s’affrontent. Chacun a ses raisons et tout le monde a tort… Inévitablement cet enregistrement va ranimer les controverses… La Callas spectaculaire qui affronte des territoires opposés, avec de graves défauts… mais aussi ce tempérament, cette présence, ces inimitables accents… Cette vérité… D’autres les chantent mieux. Mais Callas les vit. Irritante, étonnante, admirable Callas.
Deux ans plus tard, la Callas réitère cet exploit en enregistrant avec Georges Prêtre une nouvelle série d’airs d’opéra français. C’est également une réussite…
Album Callas à Paris
Une Carmen de légende
Callas poursuit l’expérience commencée avec Georges Prêtre en chantant l’une des plus belles Carmen du répertoire. Après avoir travaillé la partition sur le yacht d’Onassis, elle revient à Paris où elle offre en studio une prestation extraordinaire. Evitant une interprétation mélodramatique, elle trouve le ton juste, suivant à la lettre les indications de Bizet. Le plateau est prestigieux : Gedda, Massard, Guiot…
Carmen est un rôle de composition pour la Callas qui n’aime guère cette femme libre qui l’effraie quelque peu :
Je ne la déteste pas, car il n’y a rien que je déteste vraiment. J’ai incarné Carmen pour le disque, mais je ne suis pas d’accord avec la femme qu’elle est : ce personnage plutôt viril qui agit comme un homme. Une vraie femme n’agit pas comme ça… On m’a reproché souvent d’être une « bourgeoise », je dirais « brave fille. […] Donc, Carmen ne fait pas partie de mon monde idéal.
La Callas, adorant la musique de Bizet, le résultat demeure d’une perfection confondante : point de notes de poitrine, équilibre du chant. La voix de la Callas avec ses teintes fauves convient à la musique d’un rôle qu’elle chante depuis l’enfance. L’accord avec le ténor Nicolai Gedda et les autres chanteurs fonctionne à merveille. Le succès est à nouveau total.
La fin tragique
La Callas restera à Paris jusqu’à la fin de son existence. Elle se produira notamment à l’Opéra Garnier. Son dernier concert se déroule au Théâtre des Champs-Elysées, le 7 décembre 1973, à l’occasion d’une grande tournée d’adieu. Après ce dernier triomphe, elle sent que sa voix s’éteint peu à peu, illustrant ce qu’elle avait noté de son interprétation du personnage de Carmen : « Je veux mourir en silence, sans un râle ». Lassée de tout, la plus grande cantatrice du XXème siècle expire dans la capitale le 16 septembre 1977, à l’âge de 53 ans.
Par Matthieu L., Médiathèque musicale de Paris