Bicentenaire de la naissance de César Franck La jeunesse de César Franck
Alors que l'on célèbre le bicentenaire de la naissance de César Franck, les bibliothèques vous proposent un retour sur la vie et l’œuvre du musicien. Premier épisode : la jeunesse.
César Franck voit le jour à Liège le 10 décembre 1822. Son père, Nicolas-Joseph, est employé de banque. Sa mère, Marie-Catherine, femme au foyer, vient d’Aix-la-Chapelle.
S’il n’est pas issu d’une famille de musiciens, son père décide quelques années plus tard de faire de ses deux fils des virtuoses qui, il l’espère, connaîtront le succès. C’est l’époque où Liszt, Chopin, Paganini et Alkan triomphent à Paris, capitale européenne de la musique.
Joseph Franck deviendra violoniste ; César, lui, sera pianiste.
L’enfant prodige et le jeune compositeur de génie
César Franck fut un enfant prodige dans la plus complète acception du terme. Entré dès cinq ans à la nouvelle École royale de musique de Liège, il suit les cours de Joseph Daussoigne, le neveu du compositeur révolutionnaire Étienne Méhul. Très vite, il se distingue par sa grande force de travail et ses belles qualités d’interprète. Son professeur de piano note à son propos en 1832 : « Va fort bien et promet beaucoup ». Daussoigne parle quant à lui de « grandes dispositions ». Ce dernier l’a même nommé, adolescent, répétiteur d’une des classes de l’école, devenue entretemps Conservatoire royal en 1831.
Attiré par le monde du spectacle et par les promesses d’argent qui y sont associées, le père de Franck organise des concerts publics de ses deux fils. Franck s’y mesure aux pièces les plus virtuoses (Hummel ou Herz). Il y interprète également ses propres œuvres, comme le Grand rondo op. 03 ou les Variations brillantes sur l’air du Pré aux Clercs op. 05, basées sur l’opéra de Ferdinand Hérold. Un journaliste le surnomme la « petite merveille de l’art musical ».
Fin stratège de la carrière de ses fils, Nicolas-Joseph Franck en désire cependant davantage. Il décide d’émigrer à Paris pour inscrire César et son frère au Conservatoire, afin qu’ils reçoivent l’enseignement des meilleurs professeurs. Franck y sera l’élève d’Antoine Reicha, un des dépositaires de la tradition beethovenienne. Ce dernier a déjà formé Berlioz et Gounod. A cette époque, César Franck, âgé de 13 ans, atteint déjà à un très haut degré d’excellence dans l’art de la composition. On lui doit un très beau deuxième concerto pour piano qui s’inspire à la fois du style d’Hummel et de celui du maître de Bonn. Franck s’essaie également au genre de la symphonie avec une partition en sol mineur.
Enfin, ce sont trois trios pour violon, violoncelle et piano, dont l’un propose une forme cyclique très élaborée, qui confirment Franck comme compositeur de musique savante reconnu par le « Tout Paris ». A cette occasion est proposée une souscription qui réunit les grands noms de l’époque, qu’ils soient du monde de l’art ou de celui de l’aristocratie. Meyerbeer y figure en première position, Liszt en deuxième. Franck restera toute sa vie l’ami de ce musicien qui fascine toute l’Europe par sa virtuosité pianistique et par son génie.
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Face à l’emprise du père, la libération
L’emprise que Nicolas-Joseph exerce sur ses enfants s’est, au fil des années, muée en une véritable exploitation. Antonin d’Indy n’hésite pas à parler à son sujet d’une « sorte de Thénardier », en référence au personnage de Victor Hugo[1]. Il soumet chaque jour Joseph et César à un emploi du temps minuté. Les cours donnés s’enchaînent, les concerts aussi. Peu de divertissements pour ces « jeunes damnés » de la musique !
En 1846, alors qu’il a tout juste 23 ans, il décide de rompre définitivement avec son père. Le musicologue Léon Vallas raconte cet épisode personnel qui prend son origine dans la naissance d’une mélodie du compositeur dédiée à sa future femme Félicité Desmousseaux Saillot :
César-Auguste avait écrit sur les vers fameux de Reboul, L’Ange et l’enfant, une touchante romance datée du sept février 1846. […] Déplut-elle à son père ? ou plutôt exaspéra-t-elle le tyran par la dédicace imprudemment inscrite : « En souvenir, à Mlle Desmousseaux » ? Le père Franck y trouva la preuve d’un projet de fiançailles, que par principe il condamnait : le mariage aurait gêné son fils dans sa carrière de virtuose. Il déchira la partition. César-Auguste, révolté par cet acte brutal, se rendit bien vite chez les Desmousseaux pour reconstituer de mémoire le document condamné et en offrir le nouveau texte à la jeune Félicité. Du même coup il décida de quitter la maison de ses parents pour vivre seul, indépendant d’une oppression insupportable.
César Franck emménage alors 45 rue Blanche, dans un petit appartement de la Nouvelle Athènes, un quartier de Paris où se rencontre toute la génération romantique. Il continue à donner des cours de piano pour vivre. Les lendemains ne laissent pas d’être difficiles et il doit attendre ses vingt-cinq ans révolus pour se marier avec celle qu’il aime. Il signe désormais César et non plus César-Auguste, marquant ainsi publiquement la rupture avec son père.
Extrait du contrat de mariage de César Franck et d’Eugénie-Félicité-Caroline Saillot.
Le premier poème symphonique de l’histoire
Si 1846 est pour Franck une année d’indépendance par rapport à sa famille, elle constitue également une année de rupture esthétique dans son œuvre. En effet, le compositeur invente le genre du poème symphonique, et ce un an avant la date de création officielle par Franz Liszt en 1847. Les deux compositeurs se sont-ils parlés de leurs projets respectifs ? Toujours est-il qu’ils mettent en musique le même poème de Victor Hugo, issu du recueil Les Feuilles d’automne, « Ce qu’on entend sur la montagne ».
Ô altitudo !
Avez-vous quelquefois, calme et silencieux,
Monté sur la montagne, en présence des cieux ?
Était-ce aux bords du Sund ? aux côtes de Bretagne ?
Aviez-vous l'océan au pied de la montagne ?
Et là, penché sur l'onde et sur l'immensité,
Calme et silencieux, avez-vous écouté ? […]
A partir de ce texte, Franck élabore une œuvre puissante. Cette partition de 64 pages (25 minutes) présente la forme d’un grand mouvement symphonique. L’orchestre apparaît fourni avec des violons par six, puis par quatre et avec un ophicléide joint aux trombones.
Contrairement à ce qu’a réalisé Liszt dans le sillage de Berlioz, Franck ne rend pas compte fidèlement de chaque partie du poème de Victor Hugo. Il s’agit là plutôt de la traduction d’un sentiment général, celui de l’homme face aux ivresses des hauteurs. Le temps et l’espace, dans leur grandiose manifestation, y sont comme suspendus par le tissu de tenues, d’ostinatos, de trémolos.
Transposant le vers d’Hugo « L'une disait : NATURE ! et l'autre : HUMANITÉ » par la différenciation des rythmes joués aux cordes et aux cuivres, Franck exprime merveilleusement la dichotomie entre la montagne et la solitude du voyageur. L’ensemble de l’œuvre est comme souvent chez Franck irrigué par un choral de grande ampleur (16 mesures !). Comment ne pas voir d’ailleurs le retour de cette magnifique mélodie dans la dernière section comme une géniale préfiguration de biens des finales d’œuvres ultérieures appartenant à l’école Franckiste ?
A emprunter en bibliothèque
Symphonie en ré mineur. Ce qu'on entend sur la montagne. Hulda, ballet allégorique.
Gustave Doré, L'Ascension du Mont Cervin (Musée du Louvre)
Franck reviendra bien des fois à la poésie de Victor Hugo, son poète favori. Il semble que cette inclination particulière lui soit venue de sa belle-famille, des artistes et des lettrés avec qui il vivra désormais en parfaite harmonie.
A côté de cet épanouissement intime, la rupture de César Franck avec son père aura malheureusement des conséquences certaines sur le déroulement de sa carrière. Le compositeur renoncera à la fortune, à la publicité excessive dont il avait été l’objet jusqu’alors, et se vouera à l’existence plus modeste de professeur de musique. Ce sera le début d’une longue période d’obscurité qui ne cessera qu’avec la guerre de 1870, l’influence grandissante de ses disciples et la fondation de la Société Nationale de Musique. C’est cette deuxième partie de la vie de Franck que nous nous proposons de relater dans un nouvel article.
Notes
[1] A. d’Indy, Interviews rétrospectives-Pochades et croquis, Ollendorff, Paris, 1894, p.280. Il s’agit ici du père de Vincent d’Indy, illustre disciple de César Franck.
[2] L. Vallas, La Véritable Histoire de César Franck 1822-1890, Flammarion, Paris, 1955, p. 102.
César Franck dans le catalogue des bibliothèques
Par Matthieu L., Mediathèque musicale de Paris