Prix des lectrices et des lecteurs 2022-2023 Interviews des auteurs et autrices sélectionné.e.s
A l'occasion du Prix des lectrices et des lecteurs 2022-2023, les autrices et auteurs sélectionné.e.s ont répondu à nos questions sur leur travail ! Découvrez ainsi les interviews de Claire Baglin, Maria Larrea, Polina Panassenko, Anthony Passeron et Laurence Potte-Bonneville. Pour rappel : vous avez jusqu’au 15 mars pour voter pour votre premier roman préféré, en ligne ou dans les bibliothèques participantes. Le lauréat sera dévoilé le 22 avril au festival Livres Paris.
Les interviews
© Mathieu Zazzo
Claire Baglin
« Afin de répondre le plus justement possible aux questions qui m'ont été posées, j'ai fait le choix de composer avec les auteurs qui m'entourent. »
autrice de En salle (Ed. de Minuit)
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À l’attention des lecteurs et des lectrices de cet article :
Afin de répondre le plus justement possible aux questions qui m'ont été posées, j'ai fait le choix de composer avec les auteurs qui m'entourent. Pour ne pas gêner la lecture de ce petit entretien, j'ai indiqué les textes auxquels je me réfère à la fin, non sans penser au procédé de Marcel Cohen dans son Autoportrait en lecteur (Éric Pesty éditeur, 2017). Cet autoportrait est composé de fragments, de « ruines » textuelles mais vivantes. L’auteur n’encadre pas ces citations de guillemets, mais laisse au lecteur le soin de se reporter à la fin de l'ouvrage pour savoir à quels auteurs il a affaire. Certains extraits ont été adaptés, les « il » et « elle » remplacés par un « je ».
Dans le roman En Salle, deux fils s’entrelacent : l’enfance d’une petite fille se raconte par scènes choisies et une jeune femme embauchée dans un fastfood regarde chaque jour le planning, la trame, pour savoir à quel poste elle est affectée. Ce procédé d’entrelacement, je veux le reproduire ici d’une autre façon : les lectures se mêlent à l’écriture et les textes semblent répondre mieux aux questions que je ne pourrais le faire.
Pouvez-vous résumer votre roman en quelques phrases ?
« Le roman commence non pas au faux, mais plus subtilement quand je mêle le vrai et le faux : le vrai criant, absolu du moment de vérité, et le faux colorié, brillant, venu de l’ordre du Désir et de l’Imaginaire »1. Le roman s’est ensuite développé autour d’un constat : « les manœuvres sur machines n’atteignent la cadence exigée que si les gestes d’une seconde se succèdent d’une manière ininterrompue et presque comme le tic-tac de l’horloge, sans rien qui marque jamais que quelque chose est fini et qu’autre chose commence. »2
C’est votre première publication, mais écrivez-vous depuis longtemps ?
« J’appartiens précisément à cette espèce de bavards. »3
Quand vous avez appris que vous étiez sélectionnée pour le Prix des lecteurs des Bibliothèques de la Ville de Paris, quelle a été votre réaction ?
« On se demande aussi si nous plutôt que d’autres ça ne revient pas au même. Quelques fois on se le demande. Il faut que je me borne à savoir que c’est seulement de moi qu’il s’agit, plutôt que des autres. Sans cela je suis perdue. »4
Fréquentez-vous une bibliothèque ou une médiathèque ?
J’ai fréquenté de nombreuses bibliothèques avant de constituer la mienne. « Il est rare que le vœu suprême d’un être soit de posséder une bibliothèque. Quand j’avais neuf ans, je rêvais d’une librairie. Et lorsque je m’imaginais sous les traits du propriétaire allant et venant à l’intérieur, cela me semblait alors une chose outrecuidante. Un libraire est un roi, mais un roi n’est pas un libraire. Je me jugeais trop petite pour faire une employée. »5
Est-ce qu’il y a un premier roman qui vous a marqué ou que vous recommandez ?
« Il faut lire Le Journal d’un manœuvre de Thierry Metz. Plus que de l’épure cette langue, ce vers quoi je voudrais tendre, ces mots, ce silence du travail. Je cite, “C’est samedi. Les mains ne font rien. On entend les gosses qui jouent sur le sable et les voitures qui passent… Dans la maison les chaises bavardent. On ne sait pas de quoi. Ce qui est dit n’a pas d’importance. C’est juste une parole qu’on égrène, un chuchotement de vieilles… Entre deux repas, deux vaisselles.” »6
1 Roland Barthes, La Préparation du roman, Cours au Collège de France (1978-1979 et 1979- 1980), Seuil.
2 Simone Weil, La Condition Ouvrière, Gallimard.
3 Louis-René des Forêts, Le Bavard, Gallimard.
4 Marguerite Duras, Le Square, Gallimard.
5 Elias Canetti, Auto-da-fé, Gallimard.
6 Joseph Ponthus, À la ligne, Éditions de la Table Ronde.
© JF Paga
Maria Larrea
« J’ai beaucoup trainé dans les bibliothèques, mes parents sont illettrés, il n’y avait pas beaucoup de livres à la maison. Mais j’avais une appétence certaine pour la lecture et les livres. »
autrice de Les gens de Bilbao naissent où ils veulent (Ed. Grasset)
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Pouvez-vous résumer votre roman en quelques phrases ?
C’est le puzzle recomposé d’une famille. Avec une première partie en pleine Espagne franquiste, dans les années 40, après la guerre civile avec deux naissances et deux abandons : une petite fille en Galice, Victoria, et un garçon à Bilbao, Julian. Ils vont être confiés à des institutions catholiques et se rencontrer des années plus tard un soir de la Saint-Sylvestre, tomber amoureux et fuir la misère pour Paris, le travail et fonder une famille. La deuxième partie est une enquête des origines menée par leur enfant Maria, qui grandit dans les beaux quartiers parisiens aves ses parents immigrés gardien de théâtre et femme de ménage et qui au détour d’un tirage de tarot voit son existence se renverser. Entre Paris et Bilbao, avec l’aide de flics de pacotille, d’un détective privé et de bières fraîches elle va percer le secret de ses parents et soulever un pan obscur de l’histoire de l’Espagne.
C’est votre première publication, mais écrivez-vous depuis longtemps ?
Oui, j’écris des scénarios depuis que je suis diplômée de La Fémis, l’école nationale de cinéma. J’écrivais un peu de poésie au collège mais je n’étais pas du tout sûre de moi, j’ai fait exprès de perdre mes textes !
Quand vous avez appris que vous étiez sélectionnée pour le Prix des lecteurs des Bibliothèques de la Ville de Paris, quelle a été votre réaction ?
J’étais très émue ! Et surtout honorée. Je suis une assidue de ma bibliothèque de quartier, et assez jeune je m’échappais seule à la bibliothèque de mon quartier d’enfance, dans le deuxième arrondissement. J’ai beaucoup trainé dans les bibliothèques, mes parents sont illettrés, il n’y avait pas beaucoup de livres à la maison, deux trois ouvrages se battaient en duel. Mais j’avais une appétence certaine pour la lecture et les livres. Entre ma mère qui m’en offrait dans notre librairie de quartier et la bibliothèque j’étais rassasiée.
Fréquentez-vous une bibliothèque ou une médiathèque ?
Oui ! Celle de mon quartier, la bibliothèque Rainer Maria Rilke (Paris 5e), en famille avec mari et enfants !
Est-ce qu’il y a un premier roman qui vous a marqué ou que vous recommandez ?
J’ai été profondément bouleversée par le roman d’Anthony Passeron, Les Enfants endormis, qui est aussi dans la sélection pour le Prix des lecteurs. C’est un roman brillant et poignant, récit intime d’une famille (celle de l’auteur) cloitrée dans le silence entourant la mort d’un fils toxicomane et séropositif entremêlé à une enquête sociologique sur la découverte et recherche médicale sur le SIDA. Le meilleur roman de la rentrée.
Et j’aimerai parler d’un autre premier roman, que j’ai lu bien plus jeune. Je n’oublierai pas ma lecture de Truismes de Marie Darrieussecq, j’avais tout juste 19 ans. Un premier roman que j’ai acheté à sa sortie, mon premier roman de littérature contemporaine. J’avais l’impression d’entrer dans la cour des grands, avec un livre protéiforme, féministe, fantastique, horrifique et brillant, tout ça d’un coup d’un seul avec ma première lecture contemporaine. C’était une sacrée invitation à continuer de lire. D’être curieuse et de m’intéresser à ce qui sortait, à regarder les tables des librairies pas seulement les classiques.
© Patrice Normand
Polina Panassenko
« Les bibliothèques étaient le seul endroit où je me sentais extrêmement riche : je peux choisir tout ce que je veux sans avoir à me soucier du prix et je suis toujours la bienvenue. »
autrice de Tenir sa langue (Ed. de l'Olivier)
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Pouvez-vous résumer votre roman en quelques phrases ?
En 1993, peu après la chute de l'URSS, une petite fille russe prénommée Polina arrive en France avec ses parents et sa sœur. Chaque été, la famille rentre à Moscou pour les grandes vacances, où les grands-parents les attendent. Là-bas, interdiction de parler le français et personne ne doit savoir qu'ils ont émigré. Lorsque Polina obtient la nationalité française, son prénom est francisé en Pauline. Elle va alors se dédoubler entre Pauline qui doit apprendre le français et Polina qui doit faire en sorte de ne pas oublier le russe, Pauline à l'école et Polina à la maison, Pauline en France et Polina en Russie. Vingt ans plus tard, elle a rendez-vous au tribunal de Bobigny pour demander à récupérer son prénom de naissance et se trouve confrontée à un refus.
C’est votre première publication, mais écrivez-vous depuis longtemps ?
J'ai commencé à écrire quand j'étais enfant. Tenir sa langue est mon premier roman mais c'est mon deuxième livre. En 2015, j'ai publié Polina Grigorievna, une enquête sur cinq de mes homonymes âgées de 24 à 96 ans, rencontrées par le biais de petites annonces disposées à Moscou.
Quand vous avez appris que vous étiez sélectionnée pour le Prix des lecteurs des Bibliothèques de la Ville de Paris, quelle a été votre réaction ?
Une onomatopée de réjouissance. Quelque chose comme "hey hey hey !" Étudiante, j'ai passé des journées entières dans les bibliothèques de Paris : à travailler, à choisir des livres, à traîner. Les bibliothèques étaient le seul endroit où je me sentais extrêmement riche : je peux choisir tout ce que je veux sans avoir à me soucier du prix et je suis toujours la bienvenue, aussi longtemps et aussi souvent que je le souhaite. Le fait que mon livre soit sélectionné pour ce Prix m'importe et m'honore.
Fréquentez-vous une bibliothèque ou une médiathèque ?
Quand je suis arrivée en France, tous les livres en français qu'il y avait chez nous provenaient de la médiathèque du Centre social de Beaulieu à Saint-Etienne. Cette médiathèque et son bibliobus ont fourni mon enfance en collections Cascade et Folio junior, en Roald Dahl et Astrid Lindgren, mais aussi en emprunts illicites tels que les Chair de poule qui n'avaient pas les faveurs de mes parents.
Est-ce qu’il y a un premier roman qui vous a marquée ou que vous recommandez ?
Vies minuscules de Pierre Michon. Huit récits de vie écrits dans une langue qui m'avait parue si belle que j'avais entrepris de les apprendre par cœur.
© Jessica Jager
Anthony Passeron
« Malgré toutes ces années de décentralisation, il demeure, dans le village dans lequel j'ai grandi et au-delà, une dimension de crédibilité particulière à l'endroit de tout ce qui touche à Paris. »
auteur de Les Enfants endormis (Ed. Globe)
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Pouvez-vous résumer votre roman en quelques phrases ?
Les Enfants endormis raconte parallèlement l'apparition de la toxicomanie chez des jeunes de l'arrière-pays niçois et celle d'un virus inconnu dans les hôpitaux parisiens et américains. C'est un roman qui raconte la découverte du Sida à différentes échelles, dans des mondes géographiques, sociaux et culturels très distincts pour tenter d'appréhender toute la complexité de cette pandémie, du quotidien des laboratoires scientifiques de pointe à celui d'une famille de commerçants de la France rurale.
C’est votre première publication, mais écrivez-vous depuis longtemps ?
J'écris depuis une quinzaine d'années, dans des formats extrêmement variés, des blogs, des chansons, des nouvelles, de la poésie... Les Enfants endormis est ma première tentative en matière de roman.
Quand vous avez appris que vous étiez sélectionné pour le Prix des lecteurs des Bibliothèques de la Ville de Paris, quelle a été votre réaction ?
Une réaction très heureuse marquée par mon identité de provincial, l'idée qu'il s'agisse des lecteurs de la capitale participait pour moi qui écrit depuis la Province de cette joie. Malgré toutes ces années de décentralisation, il demeure, dans le village dans lequel j'ai grandi et au-delà, une dimension de crédibilité particulière à l'endroit de tout ce qui touche à Paris.
Fréquentez-vous une bibliothèque ou une médiathèque ?
Je fréquente essentiellement celles de ma ville, Nice. Mais à l'occasion de mes déplacements je suis en train d'en découvrir de plus en plus à Paris. Elles me permettent de préparer mes interventions en librairies... Comme je n'ai pas d'appartement ou de bureau à Paris, c'est essentiellement dans les bibliothèques que j'avance sur mon travail lorsque je suis en déplacement.
Est-ce qu’il y a un premier roman qui vous a marqué ou que vous recommandez ?
En plus de ceux qui sont à mes côtés dans votre sélection et que j'ai adorés, j'en citerai deux : Deux Secondes d'Air qui brûle de Diaty Diallo au Seuil et Trois Soeurs de Laura Poggioli à l'Iconoclaste que j'ai trouvé tous les deux très maîtrisés.
© Gilles Stuv Potte
Laurence Potte-Bonneville
« J’écris depuis des années, mais cela a longtemps été une pratique intermittente, fragile. J’ai d’ailleurs parfois renoncé, mettant l’écriture en pause pendant de longues périodes, mais toujours, les mots sont revenus me chercher. »
autrice de Jean-Luc et Jean-Claude (Ed. Verdier)
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Pouvez-vous résumer votre roman en quelques phrases ?
Jean-Luc et Jean-Claude sont deux amis qui vivent dans un foyer pour adultes handicapés et dont la routine va se dérégler un beau jour, lors de leur sortie hebdomadaire au café du village. Ils s’embarquent dans un road trip improbable pour aller voir les phoques de la baie de Somme tandis qu’on s’inquiète de leur disparition et qu’on alerte les gendarmes, car les deux amis ne sont pas à l’abri des mauvaises rencontres…
C’est votre première publication, mais écrivez-vous depuis longtemps ?
Oui, j’écris depuis des années, mais cela a longtemps été une pratique intermittente, fragile, souvent peu compatible avec les exigences de la vie de tous les jours. J’ai d’ailleurs parfois renoncé, mettant l’écriture en pause pendant de longues périodes, mais toujours, les mots sont revenus me chercher. J’ai donc persisté, dans des petits carnets, sur mon téléphone, dans le métro, les dimanches matins… et puis de fil en aiguille, j’ai le sentiment d’avoir pu lui laisser un peu de la place qu’elle réclamait, même si ce n’est jamais assez.
Quand vous avez appris que vous étiez sélectionnée pour le Prix des lecteurs des Bibliothèques de la Ville de Paris, quelle a été votre réaction ?
La joie, bien sûr ! Joie de sentir que mon roman avait pu toucher au point de figurer dans cette belle sélection. J’ai le sentiment d’avoir beaucoup de chance. Et après la joie, l’émotion en réalisant que mon livre était dans les bibliothèques et qu’on allait pouvoir l’emprunter !
Fréquentez-vous une bibliothèque ou une médiathèque ?
Depuis des années je rends visite à deux bibliothèques dans le nord parisien. Elles sont très différentes, par leur architecture et par leurs publics, l’une est plus monacale, l’autre fréquentée par de nombreux enfants. C’est frappant de voir à quel point elles ont leurs identités propres.
Est-ce qu’il y a un premier roman qui vous a marqué ou que vous recommandez ?
La Souterraine, de Christophe Pradeau. C’est un premier roman paru en 2005 et que j’ai découvert il y a quelques années. Il s’agit d’un récit d’enfance, un frère, une sœur, blottis dans la voiture de leurs parents que le brouillard entoure, avec pour tout bagage leur tendresse et leur imagination. Une splendeur.
Jusqu'au 15 mars, cliquez ici ou rendez vous dans l'une des 24 bibliothèques participantes pour voter pour votre premier roman préféré !