Commémorations "Grândola Vila Morena" : histoire d'une chanson révolutionnaire
Il y a 50 ans, le Portugal se libérait de la plus vieille dictature d'Europe. Voici l'histoire de Grândola Vila Morena, la chanson qui fut diffusée à la radio le 25 avril 1974, donnant le signal du lancement de la Révolution des Œillets.
Liberdade
Début 1974, le Portugal est épuisé. La plus vieille dictature d’Europe a 48 ans, et la police réprime, torture et déporte tous les opposants.
C'est au sein même du régime que se forme le MFA (Mouvement des Forces Armées), mené par de jeunes capitaines qui vont secrètement penser et organiser le soulèvement militaire. Après l'échec d'une première tentative en mars, il est décidé que le signal du coup d’Etat sera donné par la diffusion d’une chanson à la radio.
Quelle radio ? Quelle chanson ? Il faut trouver une station qui dispose d’une bonne couverture nationale, une émission de deuxième partie de soirée, des journalistes acquis à la cause, et bien sûr une chanson qui puisse alerter les oreilles averties tout en obtenant le visa de diffusion.
Il y aura en réalité deux signaux. Le premier, diffusé le 24 avril à 22h55 sur les Emissores Associados de Lisboa, pour prévenir les unités de la région de Lisbonne, avec E depois do Adeus, chanson passe-partout qui vient de représenter le Portugal à l’Eurovision. Le deuxième, le 25 avril à 00h20 sur Radio Renascença pour lancer l’assaut, avec Grândola Vila Morena de José Afonso, issue de l'album Cantigas do Maio.
En plus de la censure officielle, Radio Renascença a un censeur interne, présent dans le studio même. Par prudence, le responsable et le réalisateur de l’émission nocturne Limite décident de faire un montage préenregistré comprenant bien sûr la chanson, mais aussi la lecture, par le présentateur, de deux poèmes anodins assortis d'une bande sonore. Le censeur donnera son aval, puis au moment du direct comprendra qu'il y a anguille sous roche... mais le signal sera diffusé dans son intégralité.
C’est le peuple qui commande
Dix ans auparavant, en 1964, José Afonso est invité à se produire en concert à Grândola, dans l'Alentejo, bastion de la résistance. Pour remercier la Société musicale organisatrice, qui abrite de nombreux ouvriers agricoles résistants communistes, il écrit un court poème en trois strophes en hommage à la petite ville.
Ce n'est qu'en 1971 que le poème devient chanson. José Afonso retrouve en France le chanteur Francisco Fanhais et le producteur José Mario Branco, qui ont été contraints à l'exil. Tous trois enregistrent Grândola Vila Morena et l'album Cantigas do Maio au mythique château d'Hérouville. Par un heureux concours de circonstances et un petit subterfuge, l'album sera autorisé au Portugal, et Grândola Vila Morena sortira même en single. La censure n'aura finalement jamais compris le message socialiste et libertaire qui se cache derrière le texte.
La musique est écrite à la manière du cante alentejano, un ancien chant rural aujourd'hui patrimoine culturel immatériel de l'humanité. C'est un chant lent, cadencé, alternant solistes et chœurs, qui se pratique en chorales amateurs a cappella, dans un cadre informel. Il parle d'amour, de nature, de travail, de religion, de solidarité et se transmet de génération en génération.
Grândola Vila Morena commence par 40 longues secondes de bruits de pas lourds, pesants et réguliers. Ces pas ont été enregistrés en extérieur, dans le calme nocturne du parc du château. Puis la voix de José Afonso s'élève, tremblante mais solide. Et puis le chœur. Et derrière, les pas qui continuent. À l’origine, ils évoquaient les paysans qui reviennent des champs après leur journée de travail. Dans le contexte du 25 avril, ce sont les pas de tous les Portugais, qui marchent, déterminés et riches de leurs idéaux, vers la liberté.
De musique et de fleurs
Au matin du 25 avril 1974, une inconnue rentre chez elle les bras chargés d'œillets. Un militaire perché sur un char lui demande une cigarette, mais comme elle ne fume pas, elle lui offre l'une de ses fleurs, qu'il place dans le canon de son fusil. Elle s'appelle Celeste Caeiro, et sans le savoir, elle vient de donner un nom à cette révolution. Quelques heures plus tard, sous l'œil de milliers de Portugais rassemblés dans le centre de Lisbonne, les nombreux fleuristes du quartier distribuent tous leurs œillets à tous les soldats.
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A emprunter
Capitaines d’avril, le film : Capitaines d'avril
Petit livre très complet : "Grândolavilamorena" : le roman d'une chanson
Un CD parmi d'autres pour connaître le Cante alentejano : Portugal : les voix de l'Alentejo
25 chansons pour la Révolution des Oeillets : Portugal révolution : 25 abril, 25 canções : ante, após revolução : révolution des oeillets 25 avril 1974
José Afonso, livre : https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/ark:/73873/pf0002379106.locale=fr
Livre sur la Révolution des Œillets : Un peuple en révolution : Portugal, 1974-1975
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Sélection bibliographique : Entrez dans la révolution du 25 avril
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Par Ariane Badie, Médiathèque musicale de Paris