Tour d'horizon des musiques différentes "Vous avez dit inclassables ?" : les origines
Musiques nouvelles ou open music dans les années 80, musiques transversales, expérimentales ou simplement en marge dans les années 90, et enfin (?) musiques inclassables dans les années 2000 : Autant de qualificatifs pour désigner ces choses bizarres qu’on ne sait pas vraiment où ranger… et donc trouver… un cauchemar en bibliothèque ?
Le terme « musiques inclassables » recouvre aujourd’hui des musiques insolites, instrumentales, vocales ou mixtes, mélangeant électronique et acoustique, à la croisée des genres ou à l’éclosion d’un nouveau genre. Elles laissent la part belle à l’expérimentation et à l’aventure sonique, hors des sentiers battus. Elles peuvent être semi-écrites, parfois totalement improvisées. Certains musiciens n’hésitent pas à fabriquer leurs instruments ou à en détourner l’usage premier (instruments « préparés »). D’autres se servent aussi des techniques du studio comme outil de composition.
Les origines : à la croisée des genres ?
Les musiques inclassables trouvent leur origine dans les débuts de la musique électronique et concrète : on envisage la matière brute de tout son ou bruit susceptible d’être rendue musicale par un travail sur la bande magnétique (boucles, collages…), ou bien des sons purement électroniques venant d’antiques générateurs, ou à partir des années 50, des premiers ordinateurs : citons, dans ces expérimentateurs, Pierre Schaeffer, Louis & Bebe Barron, Robert Ashley ou encore Pauline Oliveros. Ces ovnis musicaux étaient vraiment inclassables à l’époque de leur conception ; ce n’est que plus tard que l’on a pu les ranger dans des genres définis.
Les musiques inclassables sont ensuite identifiées dans les sphères de l’ambient, tel que défini par Brian Eno à partir de 1975 avec ses albums Discreet Music et Music for Airports. Sur son label Obscure, il propose des musiques contemporaines minimalistes et hors des institutions, qui empruntent aussi aux musiques populaires telles que le rock (Gavin Bryars, Michael Nyman, Harold Budd…)
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Musiques expérimentales : tour d’horizon des labels
Plusieurs labels émergent dès la fin des années 70 : le label indépendant français Atem signe des groupes hors normes et très aventureux, tels que ART ZOYD et UNIVERS ZERO. Sur le label de jazz allemand ECM, des artistes tels que Stephan Micus, John Surman et Meredith Monk définissent de nouveaux contours au-delà des genres préétablis.
Dans les années 80, ces musiques seront bien représentées sur les labels belges Crammed Discs (dans la série « Made to Measure » : Benjamin Lew, Mikel Rouse, Hector Zazou…) et Les Disques du Crépuscule (Wim Mertens), ainsi que sur des labels indépendants américains Ralph Records (Residents), Cold Blue (Chas Smith, Peter Garland), ou encore Lovely Music (Jon Hassell, Robert Ashley, David Tudor…).
En France, la diffusion de ces musiques expérimentales s’étend à partir des années 90 au sein de labels ou de distributeurs tels que Potlach, Les disques du Soleil et de l’Acier, Orkhestra, MSI, et Métamkine, mais aussi l’ouverture de disquaires spécialisés (Bimbo Tower, Souffle Continu), ainsi que l’éclosion de salles de concerts comme Les Instants Chavirés à Montreuil (93), et de festivals : MIMI à Marseille (13) ou Musique action à Vandoeuvre (54).
Incontournable, le label Tzadik est créé à New York en 1995 par le compositeur John Zorn. Il a contribué à faire connaître des artistes importants, notamment toute la scène underground japonaise et bien sûr américaine : Otomo Yoshihide, Ikue Mori, Masada, Merzbow… Il continue d’être aujourd’hui le label le plus prolifique en la matière.
En Angleterre, citons le label et distributeur RER Megacorp dirigé par Chris Cutler, qui compte parmi les artistes de son catalogue Zeena Parkins, The Necks, Art Bears, ou encore Bob Drake.
Au Canada, deux labels représentent une scène québécoise très vivante : Ambiances Magnétiques dans la sphère des musiques improvisées (Martin Tétreault, Jean Derome, Joane Hétu…) et Empreintes Digitales dans la sphère des musiques électroacoustiques.
Depuis les années 2000, on assiste à une explosion de petits labels qui s’intéressent à ces musiques un peu partout dans le monde. Cela est lié à la démocratisation des moyens de production. Concrètement, ces musiques se sont toujours peu vendues et intéressent un public de niche. Elles n’ont jamais été « rentables » mais servent en quelque sorte de laboratoire pour des expériences inédites. Pour cette raison, elles sont moins touchées par la crise de l’industrie du disque.
Par Laurent S. de la bibliothèque du cinéma François Truffaut et Stéphane T. de la médiathèque musicale de Paris