Printemps des poètes La poésie africaine en lumière
Tanella Boni © Arysque, d'après une photo de F. Lecloux
A l’occasion de la manifestation nationale le Printemps des poètes, et dans le cadre du cycle thématique "Francophonie, les Afriques", les bibliothécaires de la Ville de Paris vous proposent un tour d'horizon de la poésie africaine, de Léopold Sédar Senghor aux auteurs contemporains.
La poésie africaine est peut-être la première forme de littérature, le premier genre littéraire africain : avant la colonisation, elle accompagne la vie quotidienne que ce soit les travaux agricoles, la chasse, le travail du forgeron…, selon la formule de Jacques Chevrier « elle imprègne chacun des actes de la vie ». La colonisation provoque, au début, une volonté d’adhésion à la culture européenne ; les premiers écrits poétiques seront marqués par l’influence du symbolisme et du Parnasse.
Il est bien connu qu’avec Césaire, Léon-Gontran Damas et Birago Diop, Senghor forge le concept de négritude : après l’imitation servile, il s’agit d’affirmer l’âme noire. Ses premiers écrits : Chants d’ombre et Hosties noires sont suivis en 1948 de l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache qui, préfacée par Sartre, rend soudain visible la richesse et la complexité de celle-ci. Cette génération passée par les écoles missionnaire (Senghor) ou coranique (Birago Diop) est en quête d’une identité perdue, veut explorer le passé (David Diop) ou établir une synthèse heureuse, reconstruire un cosmos harmonieux (Birago Diop).
Si cette synthèse entre l’enracinement dans le passé et l’avenir reste la préoccupation de la génération suivante (Etienne Noumé, Tchicaya U’Tamsi), celle qui vient ensuite (que ce soit le Congolais Maxime N’Debeka, les Burkina Bé Frédéric T Titinga, Joseph Ki Zerbo ou le Camerounais Paul Dakeyo) récuse souvent la vision idyllique d’une Afrique pré-coloniale et prêche pour un art engagé. Dans les années 60, le « soleil des indépendances » n’a pas tenu ses promesses : les nouveaux dirigeants s’enrichissent aux dépens du peuple, mettent en place de véritables cultes de la personnalité, favorisent l’ethnie dont ils sont issus provoquant à long terme de véritables guerres ethniques.
Après les révolutions ratées, une nouvelle génération va illustrer le désespoir et le désenchantement : Maxime NDebeka, Paul Dakeyo, Francis Bebey, Malick Fall, Ngandu Nkashama, Véronique Tadjo, Noël Ebony, Jean -Marie Adiaffi, Tchicaya U Tamsi, Jean-Baptiste Tati Loutard, Alain Mabanckou, Fatho Amoy, Abdoul Ali War et bien d’autres. Sont en marge de ces mouvements : Théophile Obenga passionné par l’égyptologie, Lamine Sall, Marie-Léontine Tsibinda, Wewere Liking et d’autres attirés par une poésie plus intimiste.
Ceci n’est qu’une invitation à plonger ou replonger dans une littérature magnifique, trop peu connue et mise en valeur, elle n’est pas exhaustive et nous nous excusons auprès des poètes que nous avons omis.
Sélection poésie africaine
Livre
Concert pour un vieux masque : poème
Edité par L'Harmattan ; Agence de coopération culturelle ettechnique - 1980
Musicien, homme de radio, écrivain, mais aussi cinéaste et voyageur impénitent, Francis Bebey (1929-2001) a laissé une œuvre protéiforme, d’une immense richesse. « La première musique qu’il a entendue, c’était la pluie » dira son fils dans une interview, et, de fait, sa musique comme ses livres sont pleins du bruissement du monde et proposent un univers coloré, parfumé, où le sensoriel prime sur le cérébral. Ses écrits ne tombent pas pour autant dans l’exotisme facile : Bebey était aussi un homme soucieux de la marche du monde, observateur sans complaisance des travers de ses contemporains, les hommes africains étant régulièrement épinglés, comme dans sa fameuse chanson « La condition masculine », ce qui rehausse ses textes de tonalités plus mordantes. Son œuvre écrite, romans et poésie, mérite amplement d’être redécouverte.
Par Scarole, André Malraux
Livre
L'oseille, les citrons
Edité par le Manteau & la lyre ; Obsidiane - impr. 2016
Maxime N'Debeka est engagé politiquement ; son séjour en URSS lui fait découvrir Maïakovski qui, comme les Surréalistes français, influenceront profondément son œuvre. Condamné à mort en 1972 pour son engagement en faveur de la liberté, sa dénonciation de la corruption et son activisme auprès des jeunes, il est finalement gracié puis proscrit. L'Oseille et les citrons, son œuvre majeure, dénonce l'instauration de nouveaux despotismes et népotismes : ce ne sont plus les anciens colonisateurs ni les pères des indépendances mais de prétendus nationalistes, ne se souciant que d'accaparer les richesses du pays, qui exacerbent les conflits ethniques. L'image du désenchantement est rendue par l'acidité de l'oseille et du citron tandis que sa poésie exprime un rêve de fraternité.
Par Mâche, bibliothèque Musset
Livre
Coups de pilon : poèmes
Edité par Présence africaine - 1982
Héritier de Léopold Sédar Senghor et d'Aimé Césaire, le poète David Diop (1927-1960) est l'auteur d'un unique recueil, sorte de fresque historique des peuples noirs, une histoire faite d'oppression mais aussi de résistance et de lutte. Poésie engagée dont les mouvements éclatants, le style tranchant et la violence des mots sont un appel à la révolte et à la libération des exploités. Dépassant la déploration des avanies subies par les Africains, Diop, résolument optimiste, célèbre une Afrique où amour, danse et rythme se fondent dans un univers lumineux fait de beauté et de paix.
Par Batavia, bibliothèque Buffon
Livre
Leurres et lueurs : poèmes
Edité par Présence africaine - 1981
Ce "père fondateur" est paradoxalement le moins lettré. Il a suivi l'école coranique puis l'école française mais a quitté les études littéraires pour devenir vétérinaire. Il parcourt pour les besoins de son métier une grande partie de l'Afrique de l'Ouest, rencontre le vieux conteur Amadou Koumba, ce qui lui permet d'écrire les Contes d'Amadou Koumba, suivi des Nouveaux contes d'Amadou Koumba. En 1960, son très beau recueil Leurres et lueurs exprime toute l'âme africaine dans ses liens avec le passé "Ecoute plus souvent/Les choses que les êtres./La voix du feu s'entend,/Entends la voix de l'eau./Ecoute dans le vent/Le buisson en sanglots:/C'est le souffle des ancêtres". "Ceux qui sont morts ne sont jamais partis/Ils sont dans l'ombre qui s'éclaire/Et dans l'ombre qui s'épaissit,/Ils sont dans l'eau qui coule,/Ils sont dans l'eau qui dort,/Ils sont dans la case, ils sont dans la foule/Les morts ne sont pas morts...". On croirait entendre Léonora Miano aujourd'hui.
Par Mâche, bibliothèque Musset
Livre
Le mauvais sang ; suivi de Feu de brousse ; et A triche-coeur
Edité par L'Harmattan, DL - 2006
Les trois recueils réédités ici sont les trois premiers de Tchicaya U'Tamsi. Publiés pour la première fois entre 1955 et 1960, ils recèlent déjà les thèmes développés tout au long de son œuvre : le Congo, pays de l'enfance, mais aussi l'intime. Dans une profusion d'images et de sensations, le poète s'exprime à l'écart des modes et des courants de son temps.
Par Frisée, Bibliothèque Françoise Sagan
Livre
Oeuvre poétique : poésie
Edité par Ed. du Seuil - 2006
La poésie de Senghor est extrêmement musicale. Elle peut être psalmodiée et accompagnée d'instruments. Certains poèmes sont écrits pour être récités à plusieurs voix. Des répétitions impriment un rythme incantatoire et le tam-tam omniprésent fait battre l'identité africaine. C'est également une poésie totémique par sa cosmologie et son bestiaire importants qui traduisent l'atmosphère africaine. Ce style sert des thèmes éternels comme la passion érotique, l'enfance, la mort. Une postface engagée explique qu'il est par là même au service de la négritude. Senghor est le premier Africain à siéger à l'Académie française et est élu plusieurs fois président de la République du Sénégal. En 1948, il fait paraître une Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache.
Par Chicorée, bibliothèque Marguerite Duras
Livre
Orphée-Dafric
Edité par L'Harmattan - 1981
W. Liking, née en 1950 au Cameroun, vit en Côte d'Ivoire. Elle est la fondatrice du groupe Ki Yi M'Bock, compagnie de théâtre basée à Abidjian. Dans Orphée-Dafric, l'auteur recrée le mythe grec d'Orphée. Lors de la traversée du fleuve, le jour de leur union sacrée, Nyango se noie et Orphée entre dans un délire hallucinatoire à partir duquel il descend aux enfers pour retrouver Nyango. Recréé en milieu africain, le mythe d'Orphée devient un roman incantatoire. Poésie traditionnelle et mythe pour Manuana Ma Njock qui l'adapte à l'expression dramatique négro-africaine : le théâtre-Rituel. Le Rituel traditionnel africain démontre alors son aptitude à résoudre les problèmes du présent car l'Orphée des initiations souterraines du roman redevient l'homme de la rue parmi les siens.
Par Roquette, Médiathèque musicale de Paris
Livre
Laterite
Edité par Hatier ; Agence de cooperation culturelle et technique - 1984
Le pays d'origine de V. Tadjo est la Côte d'Ivoire. Elle a étudié à la Sorbonne et enseigne à l'université d'Abidjan et de Johannesburg. Grand prix d'Afrique noire en 2005, ses œuvres sont traduites en plusieurs langues. Latérite est son premier recueil poétique. La latérite est cette roche rouge typique des pays tropicaux. Entièrement en majuscules, le texte se présente comme une épopée personnelle. A l'aide de souvenirs des lieux et des images de villes africaines pleines de soleil, l'auteur écrit avec passion une poésie libre pleine d'amour et d'enthousiasme pour l'Afrique, sa terre, ses hommes et son histoire.
Par Roquette, Médiathèque musicale de Paris
Livre
Poèmes pour l'Angola
Edité par Silex - 1984
Frédéric Titinga veut, après son compatriote Joseph Ki-Zerbo suivant les leçons de Cheikh Anta Diop et de Frantz Fanon, se dissocier du mouvement de négritude et plaider pour un art plus engagé, plus lié à l'histoire propre de l'Afrique. Grand prix littéraire d'Afrique noire en 1982 après Birago Diop, F. Bebey, J.M. Adiaffi etc. pour La poésie des griots : poèmes pour l'Angola, il conjugue ses activités d'avocat et d'homme de lettres. Il plaide souvent pour le principe de précaution environnementale et, récemment, il a mené campagne pour la préservation de la culture des griots qu'il estime en voie de disparition, en particulier l'art du tam-tam parleur. La langue de ses poèmes est empreinte de références à sa culture mossi : les traditions, le tam-tam, les grelots au pied des danseurs, sa ville natale Manéga, le bestiaire très présent qui est souvent une clef d'interprétation car les noms de famille traduits du Mossi sont aussi ceux d'animaux
Par Mâche, bibliothèque Musset
Livre
Congo
Edité par Mémoire d'encrier - 2016
Dans ce recueil, Alain Mabanckou rend hommage à son pays natal. Ces courts poèmes ont, pour les premiers d'entre eux, accompagné une exposition de photographies sur le Congo. Qu'il s'agisse de la difficile réalité politique du pays, de la vie sociale, de la nature ou de la condition humaine, Mabanckou s'exprime dans un langage simple, limpide et parfois non dénué d'humour.
Par Frisée, bibliothèque Françoise Sagan
Signature
Sélection proposée par le comité de lecture Etudes littéraires des bibliothèques de Paris.
En mars dans les bibliothèques de Paris Cycle "Francophonie, les Afriques"
Comment appréhender la notion de francophonie ? Est-elle réduite à des territoires géographiques où le français est parlé ? Il semble difficile de parler d’espace quand on veut définir la francophonie littéraire.
En collaboration avec le Printemps des Poètes (4-19 mars), les bibliothèques de Paris reçoivent Harmonie Dodé Byll Catarya, Kouam Tawa et Isamaël Savadogo, trois auteurs de l’Afrique sub-saharienne en résidence à la Cité internationale des Arts à Paris. C’est dans le cadre de la Semaine de la langue française et de la francophonie (18-26 mars) que ces auteurs, parmi d’autres invités, parleront de leurs univers et de leur rapport à notre langue commune.
Rencontres, expositions, concerts, manifestations pour les enfants… autant de rendez-vous pour découvrir d’autres réalités du français.