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Musique
De la valse à l'abîme
Edité par Socadisc - paru en 2018
C'est Paul Morand qui dans Tendres stocks (1921) flatte une femme en lui déclarant : "Vous êtes belle comme la femme d'un autre." N'est-ce pas comparable à l'attitude émerveillée de Liszt transcrivant pour lui-même l'oeuvre d'un autre ? Il ne s'en est pas privé. "Sur six cent soixante-dixhuit oeuvres, [...] trois cent cinquante et une le sont au titre des transcriptions, adaptations, paraphrases, arrangements, bref, des pièces qui ne sont pas, au départ, "originales" : plus de la moitié !" s'exclame Jacques Drillon. Et parmi les Bach, Mozart, Bellini, Donizetti, Beethoven, Bellini, Chopin, Verdi, Wagner, etc., Schubert est loin d'être le plus mal servi avec les transcriptions pour piano seul de cinquante-huit lieder et même quelques orchestrations dont la fameuse WandererFantasie D. 760. Qu'allait donc chercher Liszt chez Schubert ? Attention, il ne s'agit pas ici de potspourris ou de paraphrases à l'emporte-pièce sur des airs d'opéras à la mode. Plus qu'ailleurs, le transcripteur respectueux du texte original se lance un double défi. Comme compositeur d'abord, il réduit à deux mains une partition pour chant et piano, un défi d'écriture par conséquent pour inclure le chant dans l'accompagnement : trois portées réduites à deux en somme. Réduire ! voilà un terme qui ne s'applique pas en revanche au virtuose qu'était Liszt. S'il y avait réduction, ce serait alors celle du cuisinier qui réduit sa sauce pour en concentrer les saveurs. Liszt polarise en quelque sorte le texte de Schubert, car il y a aussi de la chimie dans cette cuisine-là. La transcription devenant transmutation, Schubert devient Liszt, le lied devient à part entière pièce pianistique. Jean-Yves bras