Sélection Monte le Son L'empreinte du jazz sur la littérature
Billie Holiday au Downbeat club, New York City, février 1947 (crédit : William P. Gottlieb / domaine public)
A l'occasion du festival Monte le Son, pleins feux sur ce que la littérature a pu emprunter au jazz, sa complexité, sa fluidité, mais aussi ses destins tragiques et éminemment romanesques.
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Musique marginale jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le jazz a depuis gagné ses lettres de noblesse et irrigué la littérature bien au-delà du roman noir.
Dès sa naissance, le jazz possède une aura romantique : musique des noirs opprimés, expression de la rage de vivre qui mêle violence et sensualité... c’est la musique des bas-fonds qui fascine et scandalise. Il y a là forcément matière pour les écrivains.
De la Nouvelle-Orléans à New-York en passant par Chicago, le jazz suit la migration des Noirs américains et leur difficile émancipation comme le raconte Toni Morrison dans ses romans. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, lorsqu’il arrive en Europe, le jazz est perçu comme une musique de débauche et de perdition (cf. les nouvelles de Paul Morand) emblématique de la “génération perdue”.
Claude MacKay (1889-1948), dans son roman Banjo : une histoire sans intrigue, nous livre un témoignage captivant sur les premiers orchestres de jazz à Marseille dans les années vingt. Il donne à voir les cafés enfumés, le monde des dockers et des prostituées, et le début d’une prise de conscience politique qui travaille les ouvriers du port venus du monde entier. À la même époque, se croisent à Harlem musiciens fauchés, fêtards et truands, noirs et blancs. Milton Mezz Mezzrow (1899-1972), qui s’est fait remarquer alors à Chicago dans un des premiers orchestres mixtes, évoque dans ses mémoires (La rage de vivre)son passage en prison (c’est là qu’il découvre le blues) et ses problèmes avec la drogue. Le jazz n’est pas une musique respectable.
Tous les éléments du roman noir sont en place tels qu’on les trouve chez Chester Himes. L’Europe découvre ce genre à partir de 1945, après-guerre, en même temps que les artistes américains qui déferlent à Paris pour se produire dans les caves de Saint-Germain-des-Prés. Boris Vian y puise son inspiration, joue avec les clichés en mêlant cynisme et tendresse, et nous éblouit par ses connaissances musicales (il est lui-même trompettiste). Dans ses chroniques, il rend hommage aux improvisations géniales d’un Charlie Parker ou Thelonious Monk qui font évoluer le jazz vers le be-bop. Il restitue le tohu-bohu joyeux qui traverse la jeunesse à travers cette musique nouvelle.
Cet art de la liberté dans la performance, Christian Gailly le retranscrit formidablement dans ses romans (Un soir au club, Be bop). Il sait recréer les atmosphères nocturnes favorables aux rencontres, au trouble amoureux, à l’errance, mais tempère son romantisme par une distance ironique, comme un jeu.
La mélancolie est tonalité qui domine dans le roman d’Antonio Munoz Molina L’hiver à Lisbonne où le thème de la perte prévaut dans l’évocation amoureuse, comme une douce torture.
Dans ses variantes, le jazz exprime toutes les émotions humaines et trouve une universalité dans la consolation qu’il procure à tous. Son évidence ne doit rien au hasard mais au contraire au travail acharné des musiciens dans des conditions de vie extrêmes. Il était juste que la littérature s’en empare pour rendre hommage à sa complexité, à sa fluidité, mais aussi aux destins tragiques qui le sous-tendent. Pour Michel Contat, "Dans la musique du siècle, telle que la littérature l’entend, le jazz est l’autre nom de la liberté” (Le Monde, 28 octobre 1983), ce qui justifie tous les combats.
Sélection

Livre
Jazz Palace
Edité par Liana Levi - DL 2016
Dans les années 1920 à Chicago, Benny Lehrman, livreur, aime s'évader d'un quotidien morose en jouant du piano. Il rencontre dans un club un trompettiste, Napoleon Hill, avide de notoriété et qui ne redoute pas d'affronter la mafia et les préjugés racistes pour arriver à ses fins. Ils se produisent sur la scène du Jazz Palace et font la connaissance de Pearl, la propriétaire des lieux. ©Electre 2016

Livre
Lazy Bird
Edité par Éditions Payot & Rivages - DL 2018
Bob Richard, animateur de radio à la station WZCZ de Solitary Moutain dans le Vermont, est harcelé par une désaxée s'identifiant à l'héroïne d'un film de Clint Eastwood. Parallèlement se déroule une série de meurtres. ©Electre 2018

Livre
Jazz à l'âme
Edité par Delcourt - DL 2020
Dans le Sud des Etats-Unis, Ludlow Washington, né aveugle, vit une enfance chaotique et solitaire. Doté d'un talent indéniable, il est accueilli à bras ouverts dans le monde du jazz où Bud Rodney le prend sous son aile. Lassé de jouer le même répertoire, Ludlow s'installe à New York et crée un nouveau style d'avant-garde. Les démons de son enfance ne tardent pas à le rattraper. ©Electre 2020

Livre
La rage de vivre
Edité par Buchet-Chastel - 2013
Le clarinettiste et saxophoniste M. Mezzrow (1899-1972) évoque le Chicago et le New York des années 1920, la prohibition et la crise économique, sa découverte du blues en prison, ses premiers contacts avec les musiciens de jazz comme Bix Beiderbecke, et ses rencontres avec les plus grands : Louis Armstrong, Sydney Bechet, etc.

Livre
Chet : roman
Edité par Fayard - 2003
A. Gerber présente une biographie romancée du trompettiste américain Chet Baker (1929-1988). Tel un feuilleton romanesque, l'auteur imagine sa vie : une succession de témoignages (sa mère, des musiciens amis ou ennemis, Chet lui-même), des regards critiques, des points de vue qui forment la trame d'une enquête. Autant de témoignages qui dessinent la silhouette ambiguë de l'enfant blanc du jazz.

Livre
Le roman du jazz : les modernes, Troisième époque
Edité par Fayard - impr. 2008
L'histoire du jazz, de 1942 à 1967, à travers une présentation du be-bop, du jazz west coast et du jazz modal.

Livre
Mascarade
Edité par Cherche midi - DL 2017
Jazz, prohibition et meurtres en série. ©Electre 2017

Livre
Moins qu'un chien : récit
Edité par Parenthèses - 2018
Etre noir et musicien de jazz dans une Amérique blanche qui impose ses codes esthétiques, c'est subir le refus, les vexations et les humiliations. Dans cette autobiographie, C. Mingus exprime toute sa colère vis-à-vis d'une société qui l'a outragé. ©Electre 2018

BD
Le roi invisible : un portrait d'Oscar Alemán
Edité par Futuropolis - DL 2009
Duke Ellington ne jurait que par lui. Il fut le guitariste de Joséphine Baker, le complice de Django Reinhardt. Récit de la vie d'Oscar Aleman, né en 1909 en Argentine, grand nom du jazz, qui a marqué ses contemporains. Originaire de Buenos Aires, il connut un destin chaotique, entre gloire et oubli.

Livre
Thélonious
Edité par Gallimard - 2018
L'histoire d'une seule nuit que Thelonious Monk passe dans la maison de son amie, la baronne anglaise Pannonica de Koenigswarter, mécène des musiciens noirs de Harlem. Le pianiste et compositeur de jazz, devenu étrangement incapable de jouer la moindre note et évitant de croiser même ses amis, se remémore l'ensemble de sa vie. ©Electre 2018
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Par Marie-Aude L. bibliothèque Claude Lévi-Strauss, et Julie L., bibliothèque Arthur Rimbaud