170 ans des travaux d'Haussmann Haussmann en capitale
À l’occasion des 170 ans sa nomination comme préfet de la Seine en juin 1853, retrouvez notre sélection de documents témoignant des transformations de Paris sous Haussmann.
Le décor parisien qui nous est familier avec ses larges avenues, ses immeubles en pierre de taille, ses parcs et son mobilier urbain est le résultat, on a tendance à l’oublier, d’une mue brutale opérée sous le baron Haussmann de 1853 à 1870.
Nommé préfet de la Seine par Napoléon III, ce dernier a fait de Paris une ville moderne et une vitrine pour l’Empire.
Dans la première moitié du XIXème siècle, Paris a vu sa population doubler. Le centre, en particulier, est surpeuplé et insalubre. Le choléra y sévit encore (1832, 1849), la tuberculose est endémique et la mortalité infantile est effrayante.
Faute d’éclairage public, l’insécurité règne la nuit, comme l’évoque Balzac au sujet du quartier du Louvre dans La cousine Bette (1846) :
* « Lorsqu’on passe en cabriolet le long de ce demi-quartier mort que le regard s’engage dans la rue du Doyenné, l’âme a froid, l’on se demande qui peut y demeurer là, ce qui doit s’y passer le soir, à l’heure où cette ruelle se change en coupe-gorge, et où les vices de Paris, enveloppés du manteau de la nuit se donnent pleine carrière. »
Les Mystères de Paris d’Eugène Sue (1840) donnent à voir le Paris pauvre, constitué de ruelles médiévales et de quartiers mal reliés les uns aux autres, une ville où les quartiers neufs de la Rive Droite (la Nouvelles Athènes, le Palais-Royal) contrastent violemment avec la Rive Gauche où s’entassent ouvriers et artisans et où l’on trouve encore çà et là des champs et des vignobles.
Qu’on pense à la Cour des Miracles décrite par Victor Hugo dans les Misérables, qui se situe en plein cœur de Paris ou encore aux photographies de Charles Marville si poignantes.
Boulevard Haussmann, 1877 : Charles Marville (Ville de Paris / BHVP)
Soucieux de santé publique, Haussmann trace de larges avenues pour laisser passer l’air, fait creuser des égouts (620 km en 17 ans), amène l’eau potable aux Parisiens par un vaste réseau d’aqueducs et de canalisations, aménage des parcs (les Buttes-Chaumont), plante des arbres et fait construire des hôpitaux (l’Hôtel-Dieu, l’hôpital Saint-Antoine et Lariboisière).
Précurseur, il pense la ville en termes de flux et de réseaux. Il s’agit de favoriser la circulation rapide des marchandises et des gens. L’intendance n’est pas oubliée avec les Halles centrales et les abattoirs de la Villette.
De manière significative, le tracé des avenues s’ordonne à partir des gares et des monuments historiques. Efficacité et prestige sont au cœur du projet haussmannien. L’unité de style est pensée. L’alignement des façades fait d’ailleurs l’objet d’une réglementation stricte.
Cependant, le goût de la symétrie qui prévaut ne fait pas l’unanimité.
"Que c'est beau ! de Pantin on voit jusqu'à Grenelle !
Le vieux Paris n'est plus qu'une rue éternelle
Qui s'étire, élégante et belle comme l'I,
En disant : 'Rivoli ! Rivoli ! Rivoli !'
L'empire est un damier enfermé dans sa boîte.
Tout, hors la conscience, y suit la ligne droite."
Poème satirique de Victor Hugo, à propos du prolongement de la rue de Rivoli ».
Ambitieux et déterminé, Haussmann ne craint pas d’emprunter massivement pour ces travaux dans un contexte économique favorable au début de son mandat.
Grâce à une législation ad hoc, il peut mener les expulsions au pas de charge et démolir les îlots insalubres. Paris est livré à la pelle et à la pioche : 40 000 immeubles sont détruits et presque autant sont reconstruits.
Gabriel Davioud, Place et fontaine Saint-Michel : vue perspective, Paris, 1856. © Ville de Paris / BHdV
Haussmann procède avec méthode : il commence par rénover le centre (la place du Châtelet, la rue Saint-Jacques et le parvis de Notre-Dame), puis il attaque l’Ouest (percée du boulevard Malesherbes de l’Étoile à l’Opéra) et termine avec l’Est (place de la République, boulevard Voltaire).
Il faut se représenter les embarras créés par ces chantiers colossaux qui s’enchaînent. Paris est noyé sous la poussière et les gravats. Sur la période, 80 000 ouvriers s’activent nuit et jour pour mener à bien les travaux, tandis que la spéculation immobilière et l’inflation vont bon train.
Émile Zola présente, dans la Curée une charge violente contre les investisseurs opportunistes.
Cette critique de l’action du préfet de la Seine se retrouve dans toute son œuvre.
« Pour nettoyer la ville, on a commencé par sabrer le vieux Paris, le Paris du peuple. On a rasé la Cité, jeté des boulevards sur le ventre des quartiers légendaires, continué les quartiers riches jusqu’aux fortifications. Puis, pour achever le nettoyage, on a poussé le peuple lui-même par les épaules, en rêvant de le parquer dans quelque bois voisin. »
(La Cloche, 18 juin 1872).
Les banlieues pauvres s’étalent en effet au-delà des barrières d’octroi, rapidement absorbées par la Ville de Paris en 1860. La tendance semble irréversible, de même que le clivage entre les beaux quartiers de l’Ouest parisien et l’Est industriel et ouvrier.
La métamorphose est si rapide qu’elle traumatise les contemporains. Ainsi Théodore de Banville qui écrit dans son poème : Les démolitions
…Je suis l’âme de ce Paris
Qui bruit, foule auguste et vile
Sous nos pieds et qui fut la cité des esprits,
Baron, qu’as-tu fait de ma ville ?
(l’Âme de Paris : nouveaux souvenirs, 189O
Ou encore Charles Baudelaire qui exprime toute sa mélancolie dans Le Cygne
« Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville
Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel).
(Les Fleurs du mal, 1861)
Critiqué pour ses budgets faramineux (1 milliard 200 millions de francs au minimum) et son ambition dévorante, Haussmann a néanmoins coordonné sans faillir une politique de rénovation urbaine indispensable, sachant s’entourer des meilleurs architectes et ingénieurs de son temps (Charles Garnier, Gabriel Davioud, Eugène Belgrand).
Paris est devenue une ville belle et fonctionnelle, un modèle copié en province et dans le monde entier (Buenos Aires) et une ville qui continue de fasciner aujourd’hui encore. Un bilan somme toute, tout à fait honorable.
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Par Marie-Aulde L., bibliothèque Claude Lévi-Strauss
Exposition
Haussmann en capitale, l'exposition
Lorsque Napoléon III devient empereur des Français, il cherche un préfet qui puisse faire de Paris la plus belle et la plus moderne des villes du monde. En juin 1853, il choisit Haussmann, alors préfet de la Gironde, et lui confie les grands travaux de Paris sous le Second Empire.
Cette exposition grand public de 24 panneaux revient sur les projets emblématiques d’Haussmann : immeubles, gares, hôpitaux, théâtres, percées, réseaux souterrains…
A découvrir à Paris Rendez-Vous (29 rue de Rivoli, 75004 Paris) jusqu'au 8 janvier 2023.
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