Interview Jean-Claude Roché : "Les oiseaux sont très musiciens"
Dans le cadre du cycle "Musique et nature" à la Médiathèque musicale de Paris, rencontre avec Jean-Claude Roché, bioacousticien français, connu pour ses enregistrements de chants d'oiseaux.
Dans une interview à Libération, vous dites que c’est la musique qui vous a conduit à vous intéresser aux oiseaux. Pouvez-vous nous raconter cela ?
Etant enfant, j’habitais près de la forêt de Meudon. J’avais ma chambre au premier étage, et une petite fenêtre - que ma mère laissait ouverte pour aérer - donnait sur la couronne du grand chêne du jardin voisin. Une Grive musicienne y chantait de mars à juin, donc à quelques mètres de mon oreille ! Le chant de cette grive est un des plus beau d’Europe, chaque mâle a sa propre musique individuelle. Ce fut une véritable initiation !
Avez-vous observé que les chants d’oiseaux pouvaient avoir une fonction autre que celle destinée au territoire, à la reproduction, à la sociabilité ?
Et bien, cela dépend des espèces. Certaines espèces ne chantent pas, à proprement parler, par exemple les espèces qui nichent en colonie, comme les Hérons cendrés. La plupart des passereaux chantent au moment de la reproduction. D’autres oiseaux chantent à l’automne, au moment de la prise du territoire, comme la chouette hulotte. Mais certaines espèces chantent toute leur vie, comme fait le Mocking Bird nord-américain. Il chante depuis l’âge de quelques semaines, jusqu’à sa mort, pendant les 4 saisons, aussi bien pendant qu’en dehors de la période de reproduction. Il y prend visiblement un immense plaisir !
N’y a-t-il que l’homme pour y entendre de la musique, y trouver un plaisir "artistique" ?
Les oiseaux sont très musiciens, Olivier Messiaen disait qu’ils sont nos maîtres de musique ! Ils ont développé toutes sortes de type de chants, avec des timbres, des rythmes, des mélodies d’une infinie variété. Et, chose curieuse, parmi tous les chants d’oiseaux, certains sont très proches de la musique humaine, y compris dans les timbres, qui ressemblent comme 2 gouttes d’eau à certains de nos instruments ! Maintenant, est-ce que d’autres animaux comme les mammifères, amphibiens et insectes, aime la musique des oiseaux ?...
A votre avis, les chants d’oiseaux, les sons de la nature ont-ils aidé les hommes à devenir musicien ?
C’est ce que pense Olivier Messiaen et beaucoup de chercheurs en anthropologie, qui ont découvert des premières flûtes à 1 ou 2 trous, qui servaient uniquement d’appelants, pour la chasse. Et progressivement, d’autres flûtes apparaissaient, avec les trous correspondant à notre gamme, mais inutiles pour la chasse. Il me semble évident que la « communauté acoustique » qui règne sur terre a beaucoup influencé la musique humaine.
Comment avez-vous eu l’idée d’enregistrer les oiseaux ? Dans quel but ? Aviez-vous déjà entendu des enregistrements avant ?
J’en ai eu l’idée en découvrant un premier tout petit disques 45 tours français, de Georges ALBOUZE. Je suis allé voir chez lui, et il m’a montré le tout premier matériel « portable » pour enregistrer dans la nature. Plus de 60 kilos quand même ! Magnétophone 15 kilos, deux rouleaux de câbles de 200 mètres, 10 kilos chaque ; batteries au plomb 20 kilos, et gros transfo pour avoir du 110 volts, 10 kg de plus… ! En sortant de chez lui, je savais quel métier je ferai dans ma vie ! Un vrai coup de foudre…
Aviez-vous conscience que vous « inventiez » une discipline en France, en devenant l’un des tout premiers bio-acousticiens ?
Je n’ai rien inventé du tout, le premier enregistrement d’oiseaux a été fait en 1899 par Ludvig KOCH, en Angleterre, sur un rouleau de cire tourné à la main ! L’année de ma naissance, et les années suivantes, KOCH publiait une série de disques noirs 78 tours, accompagnés de livres sur les oiseaux d’Angleterre.
Quand j’ai enregistré pour la première fois, en hiver 56-57, les suédois avaient déjà de disponible une collection de disques noirs 30 cm de Sture PALMER sur les oiseaux d’Europe. Et la Cornell Université aux USA, à Ithaca, N.Y., avait déjà une belle sonothèque, et publié de nombreux disques noirs.
C'est vrai qu’en Europe Continentale j’ai été un pionnier, et que par la suite, je suis devenu le premier producteur et éditeur du monde. J’ai produit dans ma vie plus de 300 ouvrages sonores sur les oiseaux du monde entier pour divers éditeurs, sous divers labels : « L’Oiseau Musicien », « Sittelle » ou « CEBA »
J’ai édité moi-même environ 200 titres, dont 100 restent actuellement en vente chez FREMEAUX et Associés.
À quel moment avez-vous eu conscience que vous pouviez en faire votre métier ?
A partir de 1980, mes ventes ont explosé avec « Le Walkbird », 2 cassettes dans une boîte qui permettait d’aller écouter et comparer, sur le terrain, les chants entendus avec ceux en boîte. C’est à ce moment là que je me suis mis à éditer plusieurs collections, devenant un éditeur professionnel.
Olivier MESSIAEN et de très nombreux musiciens ont suivi mes travaux de près, et utilisé mes enregistrements avec mon accord.
Avec le recul, comment considérez-vous l’ensemble de votre production ? Comme un travail artistique ? Scientifique ? Pédagogique ?
Les trois mon capitaine ! Olivier MESSIAEN et de très nombreux musiciens ont suivi mes travaux de près, et utilisé mes enregistrements avec mon accord. J’ai enregistré plusieurs forêts qui sont maintenant rasées, et deux espèces disparues à ce jour, aux Antilles. Des centres scientifiques du monde entier, ainsi que des chercheurs en bioacoustique, m’ont souvent demandé des sons.
Les milliers d’heures d’enregistrements que j’ai faits autour du monde pendant 50 ans vont être déposés et numérisés au Muséum d’Histoire Naturelle de Berlin, qui est le centre européen le plus actif pour la conservation des sons, et leur mise à disposition pour les musiciens, les chercheurs, et l’enseignement.
Pourriez-vous dire un mot du « guide sonore des oiseaux » cette série de 45 tours que nous allons notamment montrer pendant notre exposition ? Comment l’avez-vous envisagé et conçu ?
A l’époque il n’y avait que le Guide Sonore suédois de Sture PALMER, édité par la radio suédoise. Mes conversations au Muséum de Paris, avec M. ETCHOCOPAR et DORST, m’ont convaincu qu’il fallait faire l’équivalent en France, pour l’Europe Continentale.
Enfin, pourriez-vous nous parler des pochettes des disques, notamment les dessins qui figurent sur les 45 tours ? Qui les a dessinés ? Avez-vous aussi travaillé sur cet aspect-là des disques ?
Mes premiers disques 45 tours ont été édité par DELPIRE, avec des illustrations de l’artiste peintre Mas GALLARDO. Ensuite,en tant qu’éditeur à mon nom, j’ai continué avec la série qui comporte 32 titres, avec le même artiste. J’ai aussi fait des couvertures de 30 cm avec mes propres photos, ou des dessins d’artistes connus, comme JOHN GOULD ou le photographe ERIC HOSKING.
*
Ecoutez en ligne un mix des enregistrements de Jean-Claude Roché
Retrouvez tout le programme du cycle Musique et Nature
Site officiel du cycle Musique et Nature
Propos recueillis par Damien Poncet, Médiathèque musicale de Paris, juillet 2019.