Séries musicale de l'été Danse & Jazz : la musique en mouvement (épisode 3)
Extrait de la pochette du disque "The Savoy Ballroom House bands - 1931 1955" (Frémeaux & associés)
Cet été, les bibliothèques vous invitent à revivre l'histoire des liens entre la danse et le jazz. Une saga historique et musicale, à suivre tout l'été. Episode 3 : Le swing.
ÉPISODE 3 : LE SWING
Le swing, un art de vivre.
Musique et danse célébrant la joie de vivre, le swing apparaît dans les années 1920, à la fin des Années folles autrement appelées « Roaring Twenties », années rugissantes. Mezz Mezzow, clarinettiste, témoigne de cet élan vital qui se confond avec l’engouement pour la musique comme pouls de la vie dans son livre au titre évocateur : La Rage de Vivre publié en 1946. Livre de référence sur la description de la vie des musiciens jazz de l’époque, l’écrivain Henry Miller voulait qu’il soit lu par des millions de lecteurs tant ce livre incarne la volonté de vivre malgré les aléas de la vie.
Une danse en rupture avec les danses de marche.
L’arrivée de la Crise à la fin des années 1920 accentue le côté léger et acrobatique de la danse. La danse swing la plus fameuse, le Lindy-Hop témoigne de ce goût pour la liberté de jeu et l’acrobatie. Héritière des danses qui ont vu le jour à la Nouvelle-Orléans et dans le Sud des États-Unis des années 1850 aux années 1920, le swing allège le côté danses de marche qui pesait dans toutes ces danses du cake walk au fox-trot. Le swing se danse en couple ou en solo à partir d’un « bounce », un pas rebondissant au rythme de la musique ternaire en 12/8 avec un effet de balancement (le swing signifie « balancement »). Le couple swing danse face à face, ce qui évite les effets de contrepoids et permet la légèreté.
Immiscez-vous joyeusement dans le film Cabin in the Sky, réalisé par Vincente Minelli et Busby Berkeley, 1943 : Duke Ellington lui-même et son orchestre, vous attendent dans ce savoureux passage de l’arrivée dans le club « Jim Henry’s Paradise » qui se fait en dansant ! Danse de couple mais aussi danse en cercles, le swing se danse tous ensemble au rythme de la musique des orchestres swing.
Le swing garde les gestuelles des premières danses du jazz.
Du cake walk au charleston, le swing reprend le balancement des jambes haut levées avec une exubérance de gestes parodiques issus des danses inspirées des animaux. Parmi le panel de danses animalières, le bunny hug (le câlin du lapin) et le grizzly bear (le pas de l’ours) sont particulièrement prisés.
Mais ce qui donnera véritablement le mouvement aux danses swing, c’est l’héritage du Texas tommy et du breakaway qui instaurent l’alternance des positions ouvertes et fermées. Le danseur qu’il soit leader (conducteur) ou follower (accompagnateur) peut agir avec autant d’autonomie et de responsabilité que son partenaire. La preuve en images par cet extrait vidéo de 1912 montrant un couple dansant le Texas tommy:
Le Lindy-hop, une danse voltigeuse reine des danses swing.
Littéralement « saut de Lindy », le Lindy-Hop doit son nom à l’aviateur Charles Lindbergh que l’on surnommait Lindy. Interrogé par un journaliste sur une figure acrobatique, le danseur Shorty George inventa à brûle-pourpoint ce terme « saut de Lindy », en référence au premier vol transatlantique en avion de New-York à Paris les 20 et 21 mai 1927 effectué par Charles Lindbergh à bord de son avion The Spirit of Saint Louis.
Charles Lindbergh dans le Spirit of Saint Louis (Crédit : BNF)
La swing era : les orchestres de swing jouent au service de la danse.
Les orchestres s’étoffant, on passe de petits orchestres de 4-5 musiciens aux big bands qui peuvent dénombrer jusqu’à 4 trompettes, 4 saxophones et clarinettes, trois trombones, sans compter la section rythmique tenue par le piano, la contrebasse, la batterie. Ce qui amènera à orchestrer en partie cette musique tout en laissant la place à l’improvisation pour les solos.
De grands musiciens vont devenir de grands orchestrateurs comme Fletcher Henderson, Duke Ellington, Chick Webb, Count Basie, Benny Goodman et Glenn Miller.
Parmi les grands succès du swing, deux morceaux en disent long sur l’amour du swing : « Stompin’ at the Savoy », littéralement « trépignons, tapons du pied sur le plancher du Savoy » composé en 1934 par Edgar Sampson et interprété par Chick Webb et « It don’t mean a thing if it ain’t got that swing » composé par Duke Ellington en 1931.
Le temple du swing : le Savoy Ballroom à Harlem
Une salle de danse dans laquelle deux orchestres se faisaient face pour pouvoir jouer de la musique de manière ininterrompue : lorsque l’un des orchestres faisait une pause, l’autre devait reprendre les airs et ainsi de suite. Une salle gigantesque avec un vestiaire d’une contenance de 5000 personnes. Le parquet, « The track » devait être renouvelé tous les trois ans. Le « cat’s corner », espace réservé aux meilleurs danseurs, donnait lieu à une compétition acharnée. Sans conteste, Le Savoy Ballrom incarnait à lui seul le Harlem Heartbeat, le cœur battant d’Harlem pendant les années du Harlem Renaissance des années 1920 à 1930. Contrairement aux autres salles célèbres comme le Cotton Club et l’Apollo Theater, le Savoy ne pratiquait pas de discrimination avec les Noirs : place à la musique et à la danse, que le meilleur gagne!
Entrez dans la danse au Savoy Ballroom de Harlem !
Avec cette courte vidéo en anglais dans laquelle l’ambassadeur du Lindy-hop, Frankie Manning raconte ses débuts au Savoy Ballroom
"Quiconque voulait entrer au Savoy pour écouter Chick Webb, pour tenter d’oublier la Crise, pour danser sur la toute nouvelle musique, notre seule ambition était d’aller au Savoy Ballroom"
Frankie Manning
Les danseurs et troupes phares comme les Whitey Lindy Hoppers.
Parmi eux, George Snowden dénommé Shorty George et Frankie Manning. Shorty George invente avec sa partenaire Big Bea le premier pas aérien : le couple se tient dos à dos, les bras verrouillés, l’un soulevant l’autre sur son dos comme le montre cet extrait :
Frankie Manning va reprendre ce pas en faisant en sorte que sa partenaire se retourne et atterrisse sur ses pieds devant lui, ce qui deviendra la figure proprement dite du saut du Lindy, le « Lindy Air Step » :
À la fin des années 1920, Herbert Whitey fédère une troupe de danseurs du Savoy Ball Room : Frankie Manning, Norma Miller, All Minns, Leon James etc. forment la troupe des Whitey Lindy Hoppers qui vont propulser la vogue du swing grâce à leurs nombreux voyages aux États-Unis et en Europe ainsi que leurs apparitions dans plusieurs films. Leur spectaculaire et ahurissante performance dans Hellzapopin’ continue encore aujourd’hui d’enrôler de nouveaux danseurs !
Le swing prend place au cinéma, envahit le music-hall et les ondes radio.
De nombreux films et vaudevilles-comédies musicales de Broadway jouées notamment au Zigfield Follies ainsi que le succès considérable de l’émission radiophonique « Let’s dance » popularisent le swing.
Alors que le Lindy Hop naît officiellement en 1927, le premier film parlant du cinéma The Jazz Singer, le « chanteur de jazz » d’Alan Crosland apparaît sur les écrans, imbriquant étroitement la danse, le jazz et le cinéma. Deux ans plus tard en 1929, After Seben réalisé par S.J. Kaufman s’achève par une compétition de danse qui oppose des danseurs du Savoy sous la musique de Chick Webb. Dans cet extrait, Shorty George, vainqueur, pose les bases du Lindy-Hop en réinterprétant les pas du charleston en rajoutant des pas du breakaway soit une alternance de positions ouvertes et fermées qui seront les bases du Lindy Hop. Lui et sa partenaire sortent de la piste majestueusement sur des pas du cakewalk.
Le lindy, danse énervée au rythme plus qu’endiablé, qu’on en juge par la troupe des Whitey Lindy Hoppers :
- dans le film Helzapoppin’(1941) de H.C.Potter
- dans A day at the Races (1937) de Sam Wood dans lequel les danseurs sont rejoints par les Marx Brothers qui se griment en noir.
- dans le film Keep Punching (1939) de John Clein dans lequel la troupe se livre à la routine swing du Big Apple
Dans le big apple pratiqué dans les années 1920 chorégraphié ici par Frank Manning, les danseurs se mettent dans un cercle au centre duquel un meneur commande la danse. Les danseurs du cercle agitent leurs bras à intervalles réguliers, frappent des mains, tapent sur les hanches en réinterprétant des pas de charleston ou de black bottom, tandis qu’un couple se lance au centre du cercle pour exécuter au mieux une figure demandée par le meneur dénommé aboyeur.
La 2nde Guerre Mondiale sonne le glas des années swing.
Est-ce la mort de Glenn Miller disparu dans les airs au-dessus des côtes normandes en 1944, le swing après vingt ans de vie frénétique tombe en désuétude.
L’entrée en guerre des États-Unis en 1942 mobilise nombre de musiciens et de danseurs. Les temples du swing et les clubs commencent à fermer à tour de rôle. Deux courants musicaux allaient naître, la révolution du bebop dans le jazz suivi du rock une décennie plus tard. Le lindy-hop inspirera les danses rythm’n’blues puis rock dans les années 1950 sous une forme simplifiée mais tout aussi libre, joyeuse et acrobatique. La danse s’adresse tout aussi bien aux amateurs qu’aux novices : pas besoin de cours pour aller danser !
Aujourd’hui et ce depuis les années 1980 et surtout 1990, la danse swing redevient à la mode, en témoigne de nombreuses écoles et bals swing aux États-Unis comme en Europe.
Pour finir, cet extrait vidéo issu du Jazz Roots Festival de Paris de 2015 qui donne envie de pratiquer le swing :
Documents à emprunter et liens utiles
- https://bibliotheques.paris.fr/Default/doc/SYRACUSE/966664/la-rage-de-vivre
- https://www.youtube.com/watch?v=okYn_foP2_A : les origines du Lindy Hop par JazzyFeetSchool, 2020
Par Anne-Laure Chatelot, bibliothèque Buffon
Danse & Jazz : notre série de l'été
Notre série « Danse & Jazz » se décline en sept parties qui seront diffusées tout au long de l’été 2024 de manière hebdomadaire. Ne ratez pas les autres épisodes !
Épisode 2 Jazz Nouvelle-Orléans