Coupe du Monde de Rugby en septembre et octobre La mélodie du Rugby
Alors que la coupe du monde de Rugby s'installe en France pour deux mois, découvrez "Rugby", un mouvement symphonique d'Arthur Honegger (1892-1955). Quand l'ovalie rencontre la musique classique...
Alors que la coupe du monde de Rugby s'installe en France pour deux mois, découvrez "Rugby", un mouvement symphonique d'Arthur Honegger (1892-1955). Quand l'ovalie rencontre la musique classique...
Après la guerre, pendant les Années folles, les Français s’enthousiasment pour toute forme de divertissement : le théâtre, le concert, le cinéma, le sport – et en 1924, Paris accueille les Jeux Olympiques.
Rugby, le deuxième des trois mouvements symphoniques d’Arthur Honegger, a été écrit en 1928 et créé en octobre de la même année par Ernest Ansermet, à l’occasion de la naissance de l’Orchestre symphonique de Paris - nouvelle formation dont Coco Chanel était l’une des mécènes.
Maintes fois le compositeur a expliqué son amour du sport : « Le Sport est mouvement, et le mouvement est générateur de musique. Tout geste un peu poussé, développé, déployé, peut inspirer un contour mélodique, et le Sport est riche de gestes magnifiques. Le mouvement engendre le rythme, le rythme est à la base de l’art musical. Enfin, et ceci me semble essentiel, de l’effort du sportif naît une sorte de rumeur, quelque chose comme un hymne de joie et de force, un hymne silencieux de puissance et de foi, auquel le musicien ne peut rester insensible » (1). Et le compositeur d’expliquer : « À la progression quasi-mathématique de la machine [Pacific 231, premier mouvement symphonique, NDLR], j’ai voulu opposer la diversité du mouvement humain : ses brusques élans, ses arrêts, ses envolées, ses fléchissements. Les éléments de départ étaient les suivants :
1° Cette espèce d’euphorie, d’espoir, de joie grandiose et gratuite que donne le coup d’envoi ;
2° Les phases à la fois fatales et imprévues du jeu : démarrages en dribbling des avants, descentes des trois-quarts, cafouillages, mêlées, échappées, course en crochet, feinte et zig-zag ;
3° Enfin, l’atmosphère de plein air, vibrante d’enthousiasme.
À chacun de ces éléments visuels ou sensibles correspond un thème, un motif rythmique ou un contour mélodique. Ceux-ci jouent entre eux selon les lois d’un Rugby musical » (1).
N’oublions pas que, tout-à-fait dans l’air du temps, Honegger s’est intéressé au rapport entre la musique et l’image, et qu’il nous a laissé un très grand nombre de musiques de scène et de musiques de cinéma. « J’ai faim de voir, autant que d’entendre, je suis avant tout un visuel. », dit-il (2). Il est donc naturel que Rugby soit inspiré par des images concrètes (tout autant que Pacific 231).
On perçoit bien dans Rubgy la traduction musicale de l’atmosphère du match, et l’illustration de ces phases de jeu décrites par le compositeur. À l’écoute de l’œuvre, plusieurs éléments « sautent » d’emblée aux oreilles :
En premier lieu, une nette prédominance des vents. Ensuite, la quasi absence de nuances, le piano initial étant balayé en l’espace d’une seule mesure par un crescendo qui aboutit à un forte sempre. Pour autant, les nombreux accents (dont aussi les sforzando, staccato et sempre marcato) et l’utilisation de certains effets (sourdine, flatterzunge, trilles) donnent une dynamique incontestable à la musique. La sonorité est éclatante, les suraigus stridents. Le tempo est rapide, avec même un stringendo ; des figures de notes de plus en plus courtes (croches, triolets de croches et doubles-croches, parfois même juxtaposées) qui contribuent à la sensation d’accélération.
La pièce est très rythmique, malgré l’absence (étonnante !) de percussion : la pulsation régulière est souvent brouillée par l’utilisation des syncopes, qui prolongent les notes au-delà des temps forts et qui contribuent, avec les accents placés là où on les attend le moins, à l’effet de « bousculade ». Enfin, les lignes mélodiques sont pour la plupart très courtes, faites de notes conjointes très rapidement enchaînées, montantes puis descendantes, passant dans une même ligne par chaque instrument depuis l’extrême grave (contrebasse, contrebasson) jusqu’au suraigu (piccolo).
Concluons sur la notion de mouvement dans cette œuvre qui privilégie la dimension rythmique. Au sens musical (mouvement symphonique, mouvement rapide) mais bien sûr ici aussi au sens premier, physique, mouvement mélodique, mouvement des joueurs sur le terrain. « Dans la « mêlée » du jeu de Rubgy, dans le dégagement, les passes, la course à la touche, rien de fatal, rien d’automatique. Une constante improvisation, au contraire, qu’Honegger essaiera de traduire par un jaillissement de thèmes pleins de vigueur et de joie, distendus, diatoniques à l’extrême » (3).
Gageons que Rugby sera programmé lors de la saison 2023-2024 à Paris, quelque part entre la Coupe du Monde et les Jeux Olympiques !
En écoute
>> Enregistrement de 1929 en écoute sur le site des Bibliothèques patrimoniales
À emprunter
Partition : Rugby : mouvement symphonique - Détail (paris.fr), Salabert, 1928 [3. HON 20]
CD : Rugby : interprétations historiques sous la direction du compositeur, Alpha Prod., 2008 [MAGASIN N 51104]
(1) Dans la Revue officielle du Commissariat Général aux sports, juillet-août-septembre 1943, in Honegger Arthur, Écrits. Textes réunis et annotés par Huguette Calmel, Honoré Champion, 1992. pp. 165-170.
(2) Musique et modernité en France. Sous la direction de Sylvain Caron, François de Médicis et Michel Duchesneau. Presses de l’Université de Montréal, coll. Paramètres, 2006. pp. 281-299.
(3) Marcel Delannoy, Honegger. Editions Slatkine, 1986. p. 94
Jacques Tchamkerten, Arthur Honegger ou l’inquiétude de l’espérance. Editions Papillon, 2005.
Par Ariane Badie, Médiathèque musicale de Paris