Sélection Fela Kuti, rébellion afrobeat
Pochette de l'album Roforofo Fight de Fela Kuti
Jusqu’au 11 juin 2023 se tient à la Philharmonie de Paris une exposition sur le musicien nigérian Fela Kuti, Rébellion afrobeat. L’occasion de revenir sur le parcours et la singularité du « Black President », personnage ô combien charismatique, à la fois chanteur, saxophoniste, claviériste et chef d’orchestre. Artiste également porteur d’une dimension politique aigue, panafricaniste convaincu et symbole de résistance à l’autoritarisme et la corruption.
Fela Kuti naît le 15 octobre 1938 à Abeokuta, au Nigéria, dans une famille de notables chrétiens yorubas, d’un père pasteur de l’Eglise anglicane et enseignant, et d’une mère militante, fondatrice de l’Union des femmes nigérianes. Très tôt, il s’intéresse à la musique, dans un Nigéria animé par l’optimisme de l’indépendance et où évoluent quantité de groupes de highlife et de juju music.
En 1958 il part étudier la musique à Londres, au Trinity College of Music. Il forme le groupe Koola Lobitos (où il joue de la trompette), se marie et devient père. A son retour au Nigéria, en 1963, il trouve un emploi à la radio nationale, où il en profite pour développer sa culture musicale, et renouvelle son groupe, dont le style navigue alors entre highlife et jazz, avec des paroles en yoruba.
En 1967, lors d’un concert, il est fasciné par la prestation de Geraldo Pino, à tel point qu’il ressent le besoin de moderniser son groupe. Deux ans plus tard, en 1969, il part pour une tournée chaotique aux Etats-Unis, où il en profite pour enregistrer des disques sous le nom de groupe de Nigeria 70. Il fait également une rencontre décisive en la personne de Sandra Isadore, jeune militante des Black Panthers chez qui il s’installe et grâce à laquelle il découvre les écrits de Malcolm X et Eldridge Cleaver.
Ce voyage aux États-Unis permet à Fela d’acquérir une véritable conscience politique et une autre compréhension de l’Afrique, ce qui va marquer en profondeur sa musique. De retour au Nigéria en 1970, il renomme son groupe Africa 70, et créé véritablement le style afrobeat : un mélange de jazz, de funk, de polyrythmies et de musique de transe, avec percussions yorubas et afro-cubaines, cuivres, guitares et basse, piano électrique et un chœur féminin.
Fela utilise désormais la langue pidgin, l’anglais des rues de Lagos, et ses paroles portent sur le panafricanisme, l’anticolonialisme, la critique de l’occidentalisation, ou bien encore la dénonciation de la corruption des élites. Il abandonne la trompette pour le saxophone et les claviers, et se mue en véritable meneur de revue, produisant des spectacles d’une prodigieuse force aussi bien musicale que visuelle.
Parallèlement, Fela achète un club, baptisé l’Afrika Shrine, lieu de culture au sens large et scène privilégiée de ses expérimentations. Ce « temple » de l’afrobeat devient l’épicentre de la « république de Kalakuta », une communauté autogérée, sorte de croisement entre communauté hippie et village traditionnel africain, où résident les proches de Fela et de nombreux jeunes en quête de liberté. Mais le caractère revendicatif de Fela et l’indépendance de Kalakuta commencent à sérieusement énerver le pouvoir nigérian, et la répression à son encontre commence. Elle se traduit par des raids réguliers et particulièrement violents contre Kalakuta, d’autant plus avec l’arrivée au pouvoir des militaires en 1975.
Malgré cela, la renommée de Fela est croissante, et certains artistes internationaux viennent lui rendre visite. Il fonde son propre label, Kalakuta Records, et remplace son nom Ransome (patronyme attribué à son grand-père paternel par un missionnaire britannique) par Anikulapo, qui signifie « Celui qui porte la mort dans sa poche ». En 1977, Fela décide de boycotter le Festival Festac (2e festival mondial des arts noirs et africains) qui a lieu à Lagos, et organise même un contre-festival à l’Afrika Shrine, où se rendent de nombreux invités internationaux.
Les militaires au pouvoir sont humiliés et dès la fin du festival déclenchent un raid brutal contre Kalakuta, durant lequel ils détruisent la maison de Fela, défénestrent sa mère, et frappent et violent de nombreuses personnes. A la suite de cette tragédie, Fela s’exile un temps au Ghana, où il reçoit un accueil chaleureux, mais il finit par se faire expulser par le régime militaire en place à la suite d’une émeute lors d’un de ses concerts, au moment où il interprétait le morceau « Zombie ».
De retour au Nigéria, Fela fonde un parti politique, le M.O.P. (Movement Of the People), afin de promouvoir sa future candidature aux élections présidentielles de 1979, où les militaires laisseront le pouvoir. Parallèlement, certains membres de son groupe le quittent, dont le grand batteur Tony Allen, décisif dans la création musicale de l’afrobeat. Fela renomme dès lors son groupe Egypt 80.
Le 4 septembre 1984, alors qu’il s’apprête à partir en tournée aux USA, Fela est arrêté à l’aéroport de Lagos pour délit d’exportation de devises, et condamné à 5 ans d’emprisonnement. Cet évènement déclenche une grande mobilisation internationale, notamment en France. Il est finalement libéré le 24 avril 1986, mais il n’a désormais plus la même force physique et morale, et sa musique commence à s’en ressentir, perdant de sa flamboyance.
Durant les années 90 l’état de santé, physique et mental, de Fela se détériore considérablement. Il a le sida et sombre de plus en plus dans la paranoïa et l’isolement. Il décède finalement le 2 août 1997. Ses funérailles sont l’occasion d’un immense hommage qui réunit environ 1 million de personnes dans les rues de Lagos.
L’héritage direct et immédiat de Fela est incarné par son fils aîné Femi. Celui-ci intègre le groupe de son père dès les années 80, et le remplace même lors d’une tournée, avant de prendre son autonomie et de former son propre groupe, avec lequel il sort un premier album en 1989. Un autre fils, Seun, reprend lui la direction du groupe Egypt 80 à la mort de son père. Il lance sa carrière discographique un peu plus tard, avec un premier album en 2008, salué par des critiques bluffées par son mimétisme avec Fela. La dynastie des Kuti s’est même enrichie récemment du petit-fils de Fela, et fils de Femi, Made Kuti. Quant à Tony Allen, il a démarré une brillante carrière solo dès la deuxième moitié des années 70, a collaboré avec de nombreux artistes et s’est installé en France à partir de 1986.
L’héritage de Fela et de l’afrobeat est loin de se limiter au Nigéria, il est présent dans le monde entier et se retrouve dans de nombreux groupes issus de divers styles musicaux. On peut notamment citer les new-yorkais d’Antibalas, qui perpétuent et modernisent l’afrobeat, ou bien les londoniens d’Ezra Collective, dont le jazz est clairement marqué par l’influence de Fela. Cet héritage concerne également le hip hop, à l’instar du collectif Soulquarians, où des artistes comme Common, Questlove, ou bien encore Mos Def clament leur admiration pour le « Black President ».
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Sélection
Musique
Alagbon close . Why black man dey suffer
Edité par FAK - 2007
Alagbon close. I no get eye for back. Why black man dey suffer. Ikoyi mentality versus mushin mentality.
Livre
Fela Anikulapo Kuti : rébellion afrobeat : [catalogue d'exposition, Paris, Philharmonie de Paris, du 20 octobre 2022 au 11 juin 2023]
Edité par Textuel ; Philharmonie de Paris - DL 2022
Catalogue d’une exposition qui s’est tenue du 20 octobre 2022 au 11 juin 2023, à la Philharmonie de Paris. Très complet et riche en archives inédites, cet album présente la vie flamboyante et controversée de l’auteur-compositeur nigérian, ses innovations musicales, ses combats politiques. Sont reproduites certaines de ses tenues de scène, à l’image d’un chanteur fédérateur mais non exempt de certains excès, dans une époque différente de la nôtre.
Par David L., Médiathèque Andrée Chedid
Musique
The Best of the black president 2
Edité par Knitting Factory Records - 2013
Le créateur de l'Afrobeat est décédé il y a 15 ans, mais son héritage est toujours bien vivant. Parmi les 12 morceaux cette 2ème compilation, on retrouvera notamment ''Everything scatter'' de 1975, probablement l'un des titres fondamentaux de l'Afrobeat, une version longue du classique ''Sorrow tears and blood'', inspiré par l'écrasement du soulèvement de Soweto par le régime sud-africain de l'apartheid en 1976. La denrière période d'enregistrement de Fela est également représentée avec ''Underground system, part 2'' de 1992, une chanson inspirée par l'assassinat de l'ami de Fela, le leader ré...
Musique
Zombie
Edité par Wrasse Records - 2011
Sans doute l'un des albums-charnières de Fela Kuti, Zombie est aussi celui qui bénéficie de l'aura la plus dramatique, car sa sortie sera la cause de l'assaut des militaires contre les locaux de Fela, et de la mort de la mère de ce dernier. Dans la chanson-titre, c'est en effet contre les militaires nigérians, habitués des abus et des brutalités (les fameux ''zombies'') que Fela protestait. Guitares, percussions, instruments à vent forment un ensemble musical des plus vibrants pour cet album au groove envoûtant.
Livre
Fela Kuti : le génie de l'afrobeat
Edité par Demi-lune - 2012
Première biographie complète en français de cette personnalité iconoclaste et provocante, fervent panafricaniste, pourfendeur des régimes militaires qui ont ruiné son pays. Fela Anikulapo Kuti est avant tout le créateur de l'Afrobeat.