Cycle "Révolution Russe 1917-2017" dans les bibliothèques Vous avez dit thérémine ?
Leon Theremin présentant son instrument, décembre 1927 (domaine public)
Dans le cadre du cycle « Révolution russe 1917-2017 », cap sur le thérémine et son inventeur Léon Thérémin, pionnier de la musique électronique au cœur des grands bouleversements de l’histoire du XXème siècle.
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Un des premiers instruments électroniques
Vous le connaissez tous, rappelez-vous le DZIOOOIVOUUU des soucoupes volantes à l’atterrissage ou au décollage…derrière ce DZIOOOIVOUUU, se cache le thérémine. Instrument énigmatique aux confins de la science et de la musique, le thérémine défie les champs électromagnétiques et crée des sons proches de la scie musicale et de la voix humaine, émettant une musique dite de l’éther.
D’apparence simple, un boîtier équipé de deux antennes : l’une verticale qui fait varier la hauteur de la note, l’autre horizontale qui commande le volume. Il se joue de face, debout comme un chef d’orchestre, les paumes à demi-pliées, ses avant-bras en l’air, les faisant monter, descendre, reculer. Étrange ? Le corps devient conducteur du son ! Premier instrument électronique qui se joue sans contact, la note pouvant être maintenue ou distordue, sa musique a immédiatement été classée dans le monde de l’étrange, à l’image de la vie rocambolesque de son inventeur.
Les débuts du savant-musicien
Léon Thérémin, ingénieur et violoncelliste naît en 1896. Il fait ses classes auprès de l’institut physico-technique de Saint-Petersbourg autour des premières avancées technologiques de la radio. Son but : déjouer les mouvements du corps qui parasitent les ondes radio. Ses recherches aboutissent très vite à de remarquables inventions. Il invente tout d’abord l’alarme anti-intrusion avant de concevoir un instrument qui puisse intercepter ses ondes et les rendre musicales. Le thérémine rebaptisé par les journalistes termenvox était né en 1919.
Léon, vitrine du génie russe et jouet de l’histoire
Lors de la présentation officielle du thérémine en 1922, Lénine lui-même interprète avec l’aide de Léon, l’Alouette de Glinka. Léon deviendra du jour au lendemain le représentant du génie russe avec un laissez-passer dans tout le réseau ferré du pays puis un sauf-conduit pour Berlin et enfin pour les États-Unis où Léon séjournera 10 ans qui seront les meilleures années de sa vie tout en rendant des comptes aux agents secrets russes.
Alexandra Stepanoff, première élève américaine de Léon Thérémin (1930)
Le rêve américain au tournant des roaring twenties
Thérémin est chargé de déposer plusieurs brevets de ses inventions. Il signe un premier accord avec la prestigieuse RCA pour l’exclusivité de l’alarme (la fameuse prison d’Alcatraz en sera équipée), du RCAtheremin et de l’altimètre au printemps de l’année 1929, quelques mois avant la célèbre Crise…Le thérémine, coûteux pour l’époque et d’utilisation difficile (dépourvu de notes visibles ainsi que de méthode d’apprentissage) rate le coche de la commercialisation mais l’admiration portée à son inventeur le sauve de la Crise. Grâce à Lucie Rosen et son mari, Léon possède l’usage à discrétion d’une maison au cœur de New-York.
Le Theremin Studio, école de thérémine et salon intellectuel
L’élite artistique et intellectuelle de New-York s’y presse. Les conférences du vendredi sur l’électricité et les aimants sont courues. Bien placé sur la 54ème Ouest, le Theremin Studio ne chôme pas. Léon enseigne le thérémine à une poignée d’élèves de la société huppée. Joseph Schillinger, George Gerschwin, Benny Goodman et Glenn Miller y tiennent salon. Les conversations fusent autour de l’acoustique, l’électricité, l’esthétisme, l’harmonie et toutes les inventions récentes et à venir !
Mais en 1937, le vent tourne pour Léon qui commence à avoir le fisc et le FBI à ses trousses car Léon est plus qu’un inventeur génial, il sert aussi d’espion.
Voyage au bout de l’enfer
Sa traversée via le Stary Bolchevik vers la Russie s’annonce sous les plus mauvais auspices. La purge stalinienne est passée par là : plus de parents, plus de contacts, Léon Thérémin frappe à la porte du directeur de l’Institut physico-technique, qui suspicieusement lui refuse l’accès et le pousse inéluctablement dans les bras de la Guépéou, futur KGB. Il y subit le sort réservé aux plus grands scientifiques. Incarcéré dans le goulag le plus meurtrier, celui des mines d’or de la région subarctique de Kolyma, il en réchappe six mois plus tard grâce à son talent. Son inlassable curiosité l’avait conduit à inventer un système monorail particulièrement ingénieux, augmentant le rendement par trois du transport des minerais et par là même les rations de son équipe.
Sous le joug stalinien
La Seconde Guerre mondiale le sauve de justesse de la mort assurée. Staline extirpe des goulags deux cents savants autour du plus grand ingénieur aéronautique russe qui se souvient de l’altimètre de Lev. L’ère de charachkas, camps spéciaux de scientifiques qui travaillent dans l’ombre de l’État, a commencé. Léon est d’emblée remarqué par le redoutable Beria, chef de la police stalinienne qui le somme de poursuivre des travaux sur la radio et le son.
L’oreille de Moscou
Thérémin met au point les premières techniques de mise sur écoute. L’Ambassade américaine de Moscou sera espionnée pendant des années avant que le micro litigieux ne soit découvert en 1952…Comble du comble, Léon va recueillir l’intimité de Staline sur l’ordre implacable de Beria : pendant huit ans, il a, au péril de sa vie, enregistré sur bandes magnétiques les conversations du plus grand tyran du XXème siècle.
Une retraite plutôt sage
En 1947, il obtient un appartement à Moscou avec une femme de ménage ainsi que 100 000 roubles grâce au prix Staline des arts et des sciences. Thérémin rempile cependant dans les services secrets. Les années passent, Beria puis Staline décèdent en 1953, le régime russe se dégèle peu à peu. Khrouchtchev réhabilite notre savant en 1957. Enfin Gorbatchev l’autorise en 1989 à passer à l’Ouest. Lev Termen suivra sa dernière tournée aux États-Unis et en Europe. De retour à Moscou en 1993, il succombe en voyant son studio vandalisé alors que la veille la BBC lui consacrait un documentaire.
Clara Rockmore, violoniste américaine d'origine lituanienne surtout connue comme l'une des plus grandes virtuoses du thérémine.
La musique écrite pour le thérémine
Joseph Schillinger écrit la première symphonie pour thérémine et dans son sillage, ses amis compositeurs de musique expérimentale, Edgar Varèse, Charles Ives et Henri Cowell s’en entichent. L’œuvre pour thérémine se limite cependant à 250 compositions. Les premières élèves de Thérémin, Lucie Rosen et son égérie devenue star internationale de l’instrument, Clara Rockmore puisent dans le répertoire de la musique classique. Samuel Hoffmann, autre interprète, réussit à introduire le thérémine dans le cinéma avec les Enchaînés d’Alfred Hitchcok (1946), Le Jour où la Terre s’arrêta de Robert Wise (1951). L’aura du thérémine s’effrite peu à peu sauf un engouement remarqué dans le rock : Jimmy Page aime alterner riffs de guitare et thérémine dans une sorte de folie électrique.
Aujourd’hui, l’instrument suscite toujours de l’émerveillement et se décline en modèles bien plus accessibles.
À suivre, la conférence –concert du 21 octobre à la Médiathèque Musicale de Paris.
Par Anne-Laure C., médiathèque Hélène Berr