Sélection Astor Piazzolla, l’architecte du "nuevo tango"
A l'occasion du centenaire de sa naissance, découvrez la vie et l'oeuvre du célèbre bandonéoniste argentin Astor Piazzolla.
A l'occasion du centenaire de sa naissance, découvrez la vie et l'oeuvre de l'incontournable bandonéoniste argentin Astor Piazzolla.
Genèses du tango et du musicien : parcours croisés.
Contours géographiques et sociologiques
Le quartier de la Boca (« La bouche ») qui ouvre sur l’estuaire du Rio del Plata (le fleuve d’argent ») vit naître le tango à la fin du XIXème siècle dans la capitale argentine. Croisement de musique savante et de musique populaire inspirée de la habanera (contredanse cubaine d’inspiration espagnole) et du candombé (danse africaine), le tango va devenir le symbole de l’Argentine. Il va hanter les bastringues du port San Telmo (tango porteño) ainsi que le quartier des abattoirs avant de progresser dans les faubourgs de Buenos-Aires pour attirer selon les mots d’Horacio Salas « une foule de marins et de marlous, de maçons et de matons, de croque-notes créoles et d’étrangers, d’équarriseurs et de proxénètes, qui se retrouvait dans les bistrots et les bordels ».
Entre exil et émigration, une musique pleine de tensions et de passion.
Dans ces lieux interlopes, les hommes se réunissent au son du tango qui chante l’exil, la souffrance, les trafics, la nostalgie de l’Europe incarnée le plus souvent par une femme idéalisée, abandonnée de l’autre côté de l’océan.
Comme le dit si bien Ernesto Sabato « Le tango est une pensée triste qui se danse ». Le quartier de la Boca est peuplé des gauchos, des gallegos (espagnols) en grande majorité, tanos (italiens) à la fin du XIXème avant l’arrivée au XXème siècle, de l’immigration d’Europe de l’Est et des allemands.
L’odysée musicale d’Astor Piazzolla
Des allers-retours entre les deux Amériques et l’Europe
Piazzolla est le petit-fils d’un immigré italien, Don Pantaleon, originaire de Trani dans les Pouilles, qui débarque à Mar del Plata en 1855 pour y exercer le métier de marin. Le milieu modeste d’Astor sera composé d’un mélange d’artisans et de voyous. Alors que Piazzolla n’a à peine quatre ans, ses parents émigrent à leur tour à New-York et Piazzolla n’aura de cesse de naviguer entre Buenos-Aires, New-York, Paris et l’Italie. Nourri par son père au tango, Piazzolla retient de son séjour à New-York une fascination pour le jazz (à travers Gershwin ainsi que la musique du Cotton Club) et la musique classique. Du jour où Astor entendit son voisin, Bela Wilda, un célèbre pianiste hongrois jouer du Bach, Astor se jura de devenir compositeur. À cet effet, il commence à adapter les œuvres de Bach, ses contrepoints et les fugues pour le bandonéon. Rentré en Argentine, il va suivre des cours de piano et de composition auprès d’Alberto Ginastera, considéré comme le Heitor Villa Lobos argentin qui est influencé tout à la fois par Bartok, Stravinsky et la musique populaire argentine. Par un travail acharné qui se résumerait en un Piazzolla du jour (son travail personnel de composition et d’interprète) et un Piazzolla de nuit (membre de l’orchestre d’Anibal Troilo), il arrive à obtenir une bourse de la part du gouvernement français pour étudier auprès de la célèbre compositrice et inspiratrice de talents, Nadia Boulanger.
Paris et la naissance du style de Piazzolla
Piazzolla hésite entre le jazz, le tango et surtout la musique classique. Il rêve d’écriture symphonique et de devenir un nouveau Ravel.
Les atermoiements de Piazzolla cessent grâce à la rencontre de Nadia Boulanger. Celle-ci lui répond que les œuvres classiques ont déjà été écrites. Piazzolla doit retourner à son bandonéon et au tango. « Astor, là est votre musique, ne l’abandonnez pas(…)Poursuivez en avant, faites ce qu’ont réalisé Ravel, Bartók, Stravinsky, écoutez Chávez et Villa-Lobos, ils ont transformé la musique de leur peuple en quelque chose de très beau, avec quelque chose que vous avez déjà : la grâce de Dieu. » dit-elle.
Une nouvelle architecture du son
L’instrumentation traditionnelle du tango
La forme initiale des débuts en trio (guitare-violon-flûte puis guitare-violon-bandonéon ou bien piano-violon-bandonéon) évolue en sextuor (une double ligne de violons et de bandonéons, une contrebasse, un chanteur) dans les années 1930 avant de donner place aux orchestas tipicas des années 1940 (piano, contrebasse, quatre violons, quatre bandonéons), âge d’or du tango.
Textures du « nuevo tango » : une nouvelle palette de timbres et de couleurs.
Avec Piazzolla, le tango ne se danse plus, il s’écoute ! Cap sur la beauté du son : chaque musicien doit apporter sa propre couleur. Le tango entre dans les salles de concert et le bandonéon devient un instrument de soliste à part entière. Fini les orchestres avec la multiplication des bandonéons qui alourdissaient le tango. Place à des formes plus restreintes en trio, quintet voire en solo avec ou sans orchestre philarmonique. Les instruments de jazz s’invitent. Tout d’abord, la guitare électrique qui, à partir de 1955, s’ajoute au quartet traditionnel (piano-violon-contrebasse-bandonéon) pour composer le « Quinteto nuevo tango ». Elle sera présente tout au long de la carrière de Piazzolla qui collaborera ponctuellement avec le saxophoniste barryton Gerry Mulligan en 1974 et le vibraphoniste Gary Burton en 1987, entres autres instruments.
Une multiplicité de formes
Astor Piazzolla aime l’avant-garde et cherche des formes toujours nouvelles. Il fonde un « Quinteto nuevo tango » (ajout d’une guitare électrique) dans les années 1960, le « Conjunto Nueve »(présence d’une basse électrique et d’une batterie) dans les années 1970 . À l’image du jazz fusion à la mode des années 1970, il fonde le « Conjunto Electronic » (dans lequel on trouve le jeune Tomas Gubitsch) avant de revenir à un son plus traditionnel avec un « Quinteto nuevo tango » deuxième formule puis le « Sexteto »dans les dernières années de sa vie.
Un genre musical transfiguré
Parmi son millier d’œuvres dont une petite partie pour le cinéma, beaucoup sont d’autocitations : l’écriture de Piazzolla fonctionnant à la manière des poupées russes, un thème en amenant un autre. L’influence du jazz est déterminante tant sur la rythmique (place de la syncope, accentuation sur les contretemps) des modes, des combinaisons de structures. Pour reprendre les termes d’un musicologue, Astor Piazzolla puise dans « un matériau mélodico-rythmique issu du tango, mais utilisée de la même manière qu’a le jazz de réaliser des bases pour improviser » (Thomas Fontes Saboga Cardoso, « L’incorporation d’éléments du jazz dans le tango d’Astor Piazzolla »). La musique classique transparaît aussi dans le lyrisme, la place du silence, l’alternance des nuances allant du pianissimo au fortissimo. Toute la passion du tango retentit de bout en bout dans la musique d’Astor avec ses moments de fièvre, de tension rythmique et de volupté qui mêlent allégrement les trois genres musicaux que sont le tango, le jazz et la musique classique.
La « grâce » de Piazzolla : « Piazzolla For Ever »
Piazzolla au sommet de l’émotion : quelques titres incontournables.
Libertango (1974), Adios Nonino (1959) et Oblivion (1984).
Ces trois compositions, devenues des standards, symbolisent l’esprit d’Astor Piazzolla. Notre architecte du nouveau tango n’a cessé de militer pour l’émancipation du tango : le titre « Libertango » sonne comme un manifeste. Astor cherche néanmoins à rester au plus près de l’âme et de l’émotion : « Adios Nonino », est le plus bel hommage qui soit rendu à un père, Astor dira qu’ « il était entouré avec les anges » ou bien « je ne l’ai pas écrit, je l’ai joué ». Enfin, « Oblivion » ou l’ « Oubli » résonne comme l’incarnation du tango, musique de l’exil.
Le répertoire de Piazzolla s’impose avec un maître-mot, la liberté
Astor Piazzolla détestait les suiveurs. Fort de la leçon de Nadia Boulanger, son vœu le plus cher est que chaque musicien se forge son propre style. C’est avec cet esprit de liberté que des musiciens comme les accordéonistes et bandonéonistes Richard Galliano, Juan José Mosalini et son fils Juanjo Mosalini , William Sabatier, Olivier Manoury, le pianiste Gustavo Beytelmann perpétuent l’âme de Piazzolla. Cent ans après la naissance d’Astor, parmi les nombreux albums-hommages, citons deux jeunes talents remarquables : la bandéoniste Louise Jallu (Piazzolla 2021, label Klarthe) ainsi que la trompettiste Lucienne Renaudin-Vary (Piazzolla Stories, 2021, label Warner Classics). Astor Piazzolla, l’architecte du nouveau tango, a transmis son âme et sa grâce. Le rapport paternel qu’il entretenait avec Richard Galliano est bien celui d’un passeur : « Moi j’ai inventé le New Tango, il vous appartient à vous de créer le « New Musette » » dit-il à ce dernier. Richard Galliano lui a consacré plusieurs albums, notamment « Piazzolla for ever » pour qu’Astor continue de vivre parmi nous.
Sélection
Musique
Piazzolla 2021
Edité par Klarthe - C 2020
" Trop rares sont ceux qui auront su se hisser à la hauteur de ce monument statufié de son vivant, n'en restant qu'à la surface quand cette personnalité aux multiples facettes invite à une lecture autrement plus complexe. C'est cet Himalaya qu'a osé gravir Louise Jallu. Loin de sombrer dans la pâle copie, Louise Jallu ajoute ses commentaires, ouvrant notamment des espaces propres à l'improvisation, quitte à prendre le parti pris d'une certaine irrévérence pour faire d'autant mieux preuve de toute sa déférence envers l'Argentin. Histoire de coller à la singulière post-modernité qui habitait son...
Musique
Nuevo tango
Edité par Frémeaux & associés ; distrib. Socadisc - P 2014
"La fin des années cinquante est une période de gestation fertile pour le tango. Elle marque la fin de l'aura romantique et orchestrale et Astor Piazzolla sonne la charge du renouveau en forgeant de nouveaux alliages de timbres. C'est aussi l'émergence de Horacio Salgán et de son Quinteto Real et la continuation de l'oeuvre exceptionnelle du Maestro Anibal Troilo qui fut, à sa manière, le conservatoire du tango, cette musique urbaine de Buenos Aires." (Philippe Lesage)
Musique
Revolucionario
Edité par East 54 Entertainment - 2018
5 musiciens argentins virtuoses, au service de 12 œuvres de Piazzolla qui cheminent entre tango nuevo et musique classique contemporaine. Autour du bandonéon, contrebasse, piano, guitare et violon s'engagent dans des dialogues vifs et ludiques qu'une prise de son très inspirée rend totalement envoûtant.
Par Vincent J., Médiathèque musicale de Paris
Musique
Fuga y misterio
Edité par La Musica - C 2020
VIBRAPHONE & ORCHESTRE | Cet enregistrement met en regard Bach et Piazzolla, deux virtuoses du contrepoint. Les oeuvres choisies et transcrites sont brillamment interprétées par le percussionniste italien Simone Rubino, accompagné par l'ensemble La Chimera, dirigé par l'argentin Eduardo Egüez. La Chaconne de Bach, métamorphosée fait entendre des sons de cloches et le célébrissime Fuga y misterio nous emporte par son énergie débordante. Un régal de poésie et de vitalité qui place le vibraphone sur le devant de la scène. Et ce n'est que justice !
Par Catherine P., bibliothèque Italie
Musique
La trilogie de l'ange
Edité par Éditions Jade ; [distrib. Universal music France] - P 2017
Un ange qui apparaît dans un immeuble de Buenos Aires pour purifier l'âme de ses habitants : c'est le sujet de la pièce du dramaturge Alberto Rodriguez Munoz, pour laquelle Piazzolla composa l'une de ses oeuvres les plus mystérieuses, envoûtantes et populaires : la trilogie de l'Ange.
Film
Astor Piazzolla y su quinteto : live at the Montreal jazz festival
Edité par Éd. Milan [prod., éd.] ; Universal music France [distrib.] - cop. 2008
A l'occasion du 15ème anniversaire de la mort d'Astor Piazzolla, Milan propose un enregistrement live inédit au Festival Jazz de Montréal de 1984. Cet enregistrement offre les plus belles chansons d'Astor Piazzolla dans leur version live.
Musique
Piazzolla stories
Edité par Warner music - P 2021
2021 marque le retour de la brillante et pétillante trompettiste Lucienne Renaudin Vary avec un album hommage à l'immense compositeur Astor Piazzolla qu'elle a imaginé au cours de sa dernière tournée en Amérique du Sud. Piazzolla Stories nous plonge dans l'univers unique du compositeur argentin qui fusionna le tango, le classique et le jazz. Lucienne y reprend les standards de Piazzolla mais propose également ses interprétations d'oeuvres des compositeurs ayant inspiré le maitre du tango argentin : Nadia Boulanger, Carlos Gardel, Alberto Ginastera ou encore Bach et Paganini. Que ce soit en sol...
Musique
Master of tango nuevo
Edité par Membran - C 2020
2021 marque le centenaire de la naissance d'Astor Piazzolla. "Le plus grand compositeur de tango au monde", comme on l'appelle à juste titre, est né à Mar Del Plata en Argentine le 11 mars 1921. Grandissant comme migrant dans le Lower East Side de Manhattan, il a étudié le bandonéon et s'est plongé dans le jazz et musique classique. À l'âge de seize ans, il est retourné en Argentine, a joué avec des orchestres de tango à Buenos Aires et a finalement économisé assez d'argent pour prendre des cours de composition auprès de A.Ginastera. Dans les années 1950, il étudie à Paris où Nadia Boulanger l...
Livre
Astor Piazzolla : le tango de la démesure
Edité par Éd. Demi-lune - impr. 2011
Un jeu de piste musical, historique et géographique pour mieux conmprendre l'oeuvre de ce compositeur et bandéoniste argentin qui a révolutionné le tango.
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Voir toute la sélection (livres, CD, DVD, partitions...)
En écoute
En écoute également : Piazzolla, nouveautés 2020-2021
Sources :
- Emmanuelle Honorin, Astor Piazzolla, Le tango de la démesure, édtions Demi-Lune, 2011
- Radio France, diverses émissions dont :
https://www.maisondelaradio.fr/article/tango-oui-tango-non-0
https://www.francemusique.fr/emissions/musicopolis/astor-piazzolla-trouver-sa-voix-90836
https://www.francemusique.fr/personne/astor-piazzolla
https://www.franceculture.fr/emissions/lactualite-musicale/tango-les-mains-en-lair-orchesta-silbando
https://www.francemusique.fr/emissions/open-jazz/astor-piazzolla-jazzo-nuevo-92772
Par Anne-Laure C., bibliothèque Buffon