Films, livres numériques, documentaires, conférences... Cinéma en ligne : petit écran, grandes émotions
Image extraite du film Shining de Stanley Kubrick (1980)
Découvrez le troisième épisode de nos sélections de ressources en ligne sur le 7ème Art : films, conférences, livres numériques et autres documentaires pour faire patienter tous les cinéphiles jusqu'à la réouverture des cinémas !
Pendant toute la période de confinement, les bibliothécaires vous proposent des ressources à découvrir en ligne autour du 7e Art. Après le premier et le deuxième épisode, découvrez cette semaine notre sélection de :
- Conférences, débats, masterclass...
Bon visionnage !
Longs-métrages
Le cabinet du docteur Caligari
Réalisé par Robert Wiene (1920)
Pas de Docteur Mabuse sans Le cabinet du docteur Caligari (Fritz Lang fut contacté pour réaliser ce film avant Robert Wiene), ni de Nosferatu de Murnau ni de Vampyr de Carl Theodor Dreyer... Plus proche de nous , les fans de Tim Burton ne pourront que reconnaître dans le personnage de Cesare l'ancêtre - voire le modèle - d' Edward aux mains d’argent. Ce film est l'acte fondateur du cinéma expressionniste allemand et on imagine encore facilement le choc et l'effroi que les spectateurs ont pu ressentir en 1920. Formellement, il s'agit d'une révolution à l'écran : palette chromatique, intertitres gothiques, décors proches de l'univers d'Edvard Munch. Sur le fond, l'intrigue est diaboliquement retorse. Saluons également ici la version restaurée proposée par Arte Replay grâce à qui vous pourrez voir ou revoir ce chef d'œuvre jusqu'en juillet 2020 en attendant de pouvoir emprunter le DVD en bibliothèque.
Forfaiture
Réalisé par Cecil B. DeMille (1915)
Lors de sa sortie en salle en 1915 Forfaiture décontenança le public et les ligues de vertu en raison des sujets abordés : racisme, adultère, sadisme… Même si l'acteur principal de ce film - Sessue Hayakawa, première star nippo-américaine du cinéma muet hollywoodien - ne réussit jamais complètement à s'extraire du rôle stéréotypé "du japonais fourbe et cruel", il contribua largement à le rendre populaire auprès du grand public. Pour l'anecdote, Marcel L'Herbier réalisera en 1937 un remake de Forfaiture avec le même Sessue Hayakawa.
Et en attendant de pouvoir emprunter ce film dans votre bibliothèque préférée, nous vous invitons à découvrir l'histoire de cet acteur dans le beau roman que lui a consacré Gilles Jacob (Un homme cruel) ou à découvrir l'ouvrage consacré à Cecil B. DeMille tous les deux empruntables sur le site de la bibliothèque numérique.
La mort de Louis XIV
Réalisé par Albert Serra (2016)
Huis-clos baroque où le spectateur est introduit dans les appartements du Roi Soleil à l'agonie, ce film est d'une splendeur inégalée. On y suit le défilé des courtisans, conseillers, valets et autres médecins, tous impuissants à guérir ou même soulager sa Majesté. Dans chaque plan ou presque, tous travaillés comme un tableau de maître, Jean-Pierre Léaud est remarquable. D'un regard, d'une expression, d'une inflexion de la voix, il est capable d'exprimer toute la complexité du personnage et des situations. Un chef d'œuvre hypnotique. Le DVD du film sera empruntable en bibliothèque dès la fin du confinement.
L'âge d'or
Réalisé par Luis Buñuel (1930)
Un an après la sortie du film d'animation Buñuel après l’âge d’or de Salvador Simo, retour sur L'Âge d'or premier long-métrage de Luis Buñuel co-écrit avec Salvador Dalí. Ce film, présenté comme un film anticlérical et antibourgeois, fut interdit de projection de 1930 à 1981 et est considéré comme l'un des sommets du surréalisme.
Au-delà des polémiques et, il faut bien l'avouer, de quelques scènes peut-être inutilement provocatrices voire faciles, ce film n'en demeure pas moins la matrice de tous les films à venir de Luis Buñuel. Pour qui souhaite revenir aux fondements de son œuvre, il est même assez frappant de constater que la majorité des thèmes buñueliens sont déjà là.
Ainsi la réception décadente qui a lieu chez les bourgeois de L'Âge d'or préfigure le repas cauchemardesque et claustrophobe de L'Ange exterminateur ou celui du subtil Le charme discret de la bourgeoisie. Les perversions, la folie furieuse et la jalousie maladive du protagoniste masculin ne sont pas non plus sans rappeler celles des personnages masculins de La vie criminelle d'Archibald de la Cruz ou de Tourments. Le fétichisme du pied ou de certaines autres parties du corps parsèmeront également la filmographie de Buñuel.
Ce n'est peut-être pas forcément le film de Luis Buñuel avec lequel il faut débuter mais c'est en tout cas l'occasion de découvrir que le peintre Max Ernst était un très mauvais acteur et qu'il a bien fait de ne pas persévérer dans cette voie.... Mais on vous laisse en juger par vous-même.
Courts-métrages
The Perfect Human
Réalisé par Jørgen Leth (1967)
Voici LE film préféré de Lars von Trier à l'origine de son projet documentaire Five Obstructions. Film expérimental réalisé en 1967 par le poète et réalisateur danois Jørgen Leth, ce court métrage nous présente un peu à la manière d'un documentaire animalier les spécimens de l'homme et de la femme parfaits selon les critères esthétiques et sociologiques de l'époque.
Alors, c'était quoi d'être parfait en 1967 ? Ces critères sont-ils toujours d'actualité ? Peut-on simuler la perfection? The Perfect Human est-il à l'origine du food porn?
On aurait tendance à penser que oui en constatant qu'il y a très peu de différences entre ces deux personnages enfermés dans un espace clos, exhibés comme des marchandises, s'offrant aux regards des spectateurs passifs et la multitude d'êtres humains reproduisant et partageant les mêmes gestes quotidiennement sur les réseaux sociaux depuis le début des années 2000. Même solitude, même quête de perfection jusque dans l'assiette.
Et puis, à l'issue du confinement, on ne peut que vous recommander de courir emprunter dans votre bibliothèque l'hilarant Five Obstructions de Lars von Trier (si, si, on vous jure que c'est très drôle) mettant au défi le malheureux Jørgen Leth de réaliser 5 versions alternatives de The Perfect Human. L'exercice est un brin sadique mais assez jubilatoire et disons quasi....parfait.
Nocturne
Réalisé par Lars von Trier (1980)
Primé au Festival des films d'étudiants de Munich en 1980, ce court métrage de Lars von Trier évoque déjà un certain nombre de ses obsessions : la cécité, les ambiances crépusculaires, la défragmentation sonore, la solitude… Mais le plus frappant n'est pas là.
On sait que depuis de nombreuses années Lars von Trier claustrophobe et dépressif vit reclus chez lui et ne peut plus prendre l'avion. Or, que voyons-nous ici ? On vous laisse le découvrir.
Negative space
Réalisé par Ru Kuwahata et Max Porter
Sélectionné aux Oscars 2018, ce film d’animation en stop motion adapte un poème de l'auteur américain Ron Koertge où un fils rend un hommage touchant à son père. Ce film a reçu le soutien du fonds d’aide au court métrage de la ville de Paris.
Documentaires
Kubrick par Kubrick
Réalisé par Gregory Monro (2020)
Et non, vingt ans après sa mort tout n'a pas été encore révélé au sujet de Stanley Kubrick et de son univers ! Reposant sur des archives rares (pour certaines familiales), et une série d'entretiens avec Michel Ciment, le visionnage en ces temps de confinement de ce très élégant documentaire interpelle par son caractère d'actualité.
Car, finalement, Stanley Kubrick fut le premier réalisateur à s'auto-confiner. La plupart de ses films furent tournés à moins de 15 kilomètres de son domicile d'où il contrôlait tout le processus de ses tournages (montage, documentation, recherches). Le film Shining n'est d'ailleurs rien d'autre qu'un film sur l'enfermement et il déclara à son sujet "Je crois à la réalité de ce que vit Jack Torrance, nous vivons tous dans un labyrinthe".
Qui plus est, à l'heure où il est beaucoup question de restreindre certaines libertés individuelles et de tracer les gens via des applications mobiles, il est frappant d'entendre Stanley Kubrick déclarer lors de la sortie de 2001, l'Odyssée de l'espace que "l'espèce humaine n'a pas vraiment évolué depuis l'homme de Cro-Magnon "que"la survie de l'homme dépendrait de l'intelligence artificielle" qu'il n'estimait "pas pire que l'espèce humaine, pas assez intelligente pour se sortir de ses problèmes". Il fut sans doute aussi l'un des premiers transhumanistes de sa génération.
Si Orange mécanique provoqua un tollé , on a tendance à oublier que les films de John Wayne étaient bien plus violents car non satiriques : "les humains ont toujours eu peur de se confronter à leur propre part d'ombre". Pourtant, nous y voilà, nous sommes nous aussi confrontés à une déréglementation sans précédent et nous allons devoir affronter nos pires travers.
Merci à Arte TV d'avoir mis à la disposition de tous (jusqu'au mois de juin 2020 ) ce très bel hommage à ce cinéaste majeur en attendant, nous l'espérons, une sortie en DVD.
La direction d’acteur par Jean Renoir
Réalisé par Gisèle Braunberger (1968)
Gisèle Braunberger (qui signe aussi la réalisation) se prête ici à un exercice : celui de la direction d'un acteur par Jean Renoir. Il lui présente un monologue tiré du Fleuve, dans lequel une jeune fille en colère affronte sa mère qui a fait tuer son chien. L'actrice se lance. Renoir corrige patiemment, élimine petit à petit les inflexions artificielles de son jeu et obtient finalement d'elle un naturel et une intensité étonnants.
Regarder en ligne (1ère partie) Regarder en ligne (2ème partie)
Lettre de Sibérie
Réalisé par Chris Marker (1957)
En 1957, en pleine guerre froide, l'association France-URSS commande aux sociétés Argos Films et Procinex un film documentaire sur la Sibérie. La réalisation en est confiée à Chris Marker, écrivain, photographe, directeur de la collection de guides de voyages "Petite planète".
Celui-ci saisit la chance d'aller filmer aux confins de l'Union soviétique, chez les Yacoutes, pour en rapporter un film tout à fait personnel, sous la forme d'une longue lettre lue par Georges Rouquier. En offrant aux spectateurs des années 1950 sa vision non-conformiste d'une Sibérie traditionnelle touchée par le développement et la modernité presque malgré elle, Marker fait un pied de nez à la propagande, d'où qu'elle vienne. Derrière le grand rideau de fumée dressé par les autorités, à l'Est comme à l'Ouest, les paysages sont d'une beauté à couper le souffle et les hommes et les femmes vivent, dansent, boivent et chantent : n'est-ce pas là l'essentiel ?
Ce film fait partie du fonds documentaire les Yeux Doc accessibles aux lecteurs des bibliothèques. Pour vous inscrire en ligne, rendez-vous ici.
Les Saisons
Réalisé par Artavazd Pelechian (1972)
Artavazd Pelechian est un cinéaste arménien aujourd'hui encore largement méconnu. Découvert en France dans les années 1980, loué par Serge Daney et Jean-Luc Godard, cet "inconnu mondialement célèbre" est considéré par de nombreux cinéphiles comme un véritable mythe. Ses films, sans dialogue, sans acteur, sans histoire sont originaux, surprenants et troublants : des images toujours en mouvement qui ne cessent de revenir, de manière envoûtante, accompagnées d'une musique omniprésente. Des images de l'homme et de la nature, des images universelles où il est question du secret de la vie !
Pour réaliser ses cinépoèmes, Pelechian travaille les images et les sons au montage qui constitue l’étape essentielle de son travail. Comme les cinéastes soviétiques des années 1920, Artavazd Pelechian a théorisé sa pratique.
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A voir également « Les Habitants » (1970)
Homo Botanicus
Réalisé par Guillermo Quintero (2018)
Projet intensément personnel d’un botaniste «perdu en chemin», "Homo botanicus" traite avec émotion, rigueur et parfois une touche d’humour, du vertige de la science omnisciente et de l’amour de la nature. Guillermo Quintero, auteur de ce premier film, a abandonné des études de biologie à l’université nationale de Bogota (Colombie) pour venir étudier la philosophie en France. Des années plus tard, son parcours ayant bifurqué vers l’audiovisuel et le cinéma, il reprend contact avec son ancien professeur, le botaniste Julio Betancur, pour un projet de film destiné à témoigner de la pratique académique de celui-ci, fondée sur le recensement systématique des plantes et sur la transmission des connaissances.
Le tournage a lieu au cours d’une expédition dans la forêt tropicale à laquelle participent le professeur Betancur, spécialiste des bromeliacées, et un de ses étudiants, Cristian Castro, fervent admirateur des orchidées. Au bivouac, les deux hommes partagent une bière et échangent des impressions ; quelque chose se noue entre le jeune homme en formation et le savant reconnu : un lien indicible, qui procède autant de la nécessité pédagogique que d’une compréhension immédiate et profonde entre deux personnes partageant une même passion. Une aventure placée sous le signe du naturaliste des Lumières Alexander von Humboldt et du romantisme allemand, un huis-clos où l'on observe de très près le mystère de la vocation et les effets d' un amour quasi-religieux pour les inépuisables beautés de la nature.
Ce film fait partie du fonds documentaire les Yeux Doc accessibles aux lecteurs des bibliothèques. Pour vous inscrire en ligne, rendez-vous ici.
Conférences, débats, masterclass...
Jean-Luc Godard « Instagram live »
Enregistré le 7 avril 2020
En 2018, au Festival de Cannes, Jean-Luc Godard avait donné une mémorable conférence de presse via Facetime pendant près de quarante-cinq minutes. L'échange avait tourné à une véritable leçon de cinéma. Ce 7 avril, le cinéaste, éternel cigare à la bouche, a récidivé, mais sur Instagram cette fois-ci. Il a répondu aux questions du réalisateur suisse Lionel Baier, pour le compte des étudiants de l’Université lausannoise d’art et de design, dans un entretien qui a pris rapidement l'allure d'une conversation teintée de complicité.
Cette discussion devait porter sur les « images au temps du Coronavirus », il en sera peu question. Le virus est comparé à la communication : il a besoin d’un voisin pour entrer. Godard nous parle des réseaux sociaux qu'il ne pratique pas. La suite est autrement plus vivifiante, avec une pensée en mouvement, des propos criblées de citations, de référence, et quelques perles, comme l'évocation de « nuées de sauterelles » pour désigner les filles de joie surgissant sur Skype. JLG aborde sa vie quotidienne, ses lectures, le langage , son rapport à l’information, à la science, à la peinture, à l'écriture ; et plus émouvant, sa vieillesse, la nouvelle vague, le passé, quelques amis. Quand il parle, le cinéma n'est jamais loin, souvent convoqué. La malice aussi est souvent présente, comme pour ce dernier conseil donné aux étudiants : « Il faut regarder les choses (les films) seulement quand on en éprouve le besoin. L'essentiel est d'y repenser, souvent ». C'est dit avec un sourire qu'Agnès Varda, en son temps, trouvait tellement beau, tellement rare ! Ils sont nombreux au cours de cette conversation.
Cours de cinéma de Frédéric Bas « De l’engueulade considérée comme un art de la table »
Enregistré en mars 2016 au Forum des Images
Vous les avez tous en tête ces scènes d'engueulades à table au cinéma tant elles semblent former un corpus cinématographique à part. Si, dès qu'on évoque le sujet, tout le monde pense instinctivement au film Festen - dont il sera bien sûr question dans ce cours - c'est ici à une véritable histoire du cinéma par la scène d'engueulade à table que nous invite Frédéric Bas.
Premier constat : la scène d'engueulade à table fait partie de l'ADN du cinéma français et repose sur une tradition théâtrale. D'un point de vue scénaristique, la dispute à table contribue à faire avancer le récit et devient prétexte à un théâtre de la parole et un ring, de l'affrontement des mots à – parfois - celui des corps.
Deuxième constat : dès 1930, le règlement de comptes à table permet de subvertir les conventions de l'ordre bourgeois à l'écran (Boudu sauvé des eaux de Jean Renoir). Si, en France, en dehors de quelques cinéastes de table (Chabrol, Resnais, Rohmer), la dispute de table a été boudée par les cinéastes de la Nouvelle Vague, la scène de "colère de table" a souvent contribué à la résolution des conflits de groupe (Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet) .Dans le même registre, les deux "repas-happening" où les engueulades au sujet de Tolkien et du parisianisme dans L'enlèvement de Michel Houellebecq de Guillaume Nicloux contribueront aussi à apaiser les tensions de groupe.
Parfois, l'engueulade peut aussi virer à "l'exécution de table" ( scène d'anthologie dans Rien sur Robert de Pascal Bonitzer) ou permettre d'aborder le thème de la sexualité : Bertand Blier a inventé le concept de la parole déplacée à table (Préparez vos mouchoirs, Trop belle pour toi, Tenue de soirée) .
Autre variante de l'engueulade de table : le repas comme symptôme de la famille en crise avec bagarre en prime (Un conte de Noël de Desplechin) ou le retour de la vérité à table (À nos amours de Pialat)
A l'étranger, on retrouvera aussi cette idée de subversion de l'ordre bourgeois : L'Ange exterminateur où le repas devient prison et Le charme discret de la bourgeoisie où la fiction du repas empêché chez Luis Buñuel. On pense aussi au scénario du repas-limite dans La grande bouffe de Marco Ferreri où la bourgeoisie explose littéralement à table.
On assistera à un autre traitement de la dispute à table avec "le repas sous influence" chez John Cassavetes (Une femme sous influence)
Enfin, dernière tendance : "le repas comme scène de guerre" ou l'expérience limite à table dans le fabuleux Festen de Thomas Vinterberg. Le repas est ici le lieu du mensonge où le personnage principal déconstruira les codes bourgeois du banquet dans le but de recréer un ordre nouveau.
Repensez bien à ce que nous disent les cinéastes lors de votre prochaine engueulade de table et nous on se charge de vous préparer une belle sélection sur le sujet pour fêter la fin du confinement. Bon appétit.
Rencontre avec Nicolas Winding Refn
Film Society, Lincoln Center (2016)
A savoir : possibilité de sous-titrage en français, bien qu'approximatifs
Nicolas Winding Refn a certainement une personnalité nettement moins clivante que son cinéma comme vous pourrez le constater dans cette rencontre. Lorsque son film Only God Forgives fut sifflé à Cannes en 2013, il ne se laissa pas démonter et déclara que « L'art est fait pour diviser, car si l'art ne divise pas, il ne pénètre pas, et s'il ne pénètre pas, vous ne faites que le consommer ».
De consommation il en est ici question avec la présentation de The Neon Demon qu'il qualifie de "film d'horreur sur la beauté", un film vampirique traitant de l'obsession grandissante de notre société pour la beauté. Nous sommes tous devenus des produits de consommation et notre date de péremption de plus en plus limitée.
Ses détracteurs lui reprochent aussi son style visuel et sa palette de couleurs assez criarde. Oui mais voilà, on ne sait peut-être pas que Nicolas Winding Refn est daltonien et que ce handicap contribue à renforcer le sentiment d'irréalité que produisent ses images. Une sorte de flottement entre l'organique et le fantastique.
S'il considère que le cinéma a stagné en tant qu'art depuis qu'il a été lui aussi réduit à un produit de consommation et que la révolution du numérique a engendré un nouvel écosystème dérégulé et hors de contrôle, l'indépendance qu'il a obtenu en finançant ses films grâce à la publicité lui permet de poursuivre son chemin sans se compromettre.
Et puis, s'il faut encore vous convaincre que Nicolas Winding Refn n'est pas l'horrible réalisateur cynique que l'on dépeint parfois, on ne peut que vous inciter à découvrir sa plateforme de streaming gratuite de films rares dont il finance lui-même la restauration https://www.bynwr.com/fr/ en attendant de pouvoir emprunter ses films dans le réseau des bibliothèques de la Ville de Paris.
La Masterclasse de Cédric Klapisch
France Culture (2018)
Réalisateur, scénariste et producteur, depuis son 1er long-métrage en 1992, Riens du tout, jusqu’à Ce qui nous lie, en 2017, Cédric Klapisch a proposé une douzaine de films et de documentaires aux spectateurs. Prononcer le nom de « Cédric Klapisch », c’est d’ailleurs faire une expérience auprès des spectateurs eux-mêmes : c’est observer l’effet sentimental, intime, que ces films ont sur eux.
"Il y a un rapport intime avec les films marquants. A la fin de l'écriture du film, je me suis dit : ça ne raconte rien, ça ne va pas plaire. Et pourtant, le succès du Péril Jeune, c'est la banalité. ça a été de faire confiance a des petites choses. »
C’est, par exemple écouter des souvenirs de visionnage : la première fois que tel ou tel a vu Le Péril Jeune sur Arte et les dizaines de fois qu’il l’a ensuite visionné sur VHS ; c’est aussi assister à des imitations : par exemple les meilleures répliques d’Un air de famille, comme celle de Yoyo et de son collier de chien ; et c’est enfin écouter une confession, comme par exemple la manière dont on s’est identifié avec Xavier, le héros un peu perdu de L’Auberge espagnole, alors qu’on entrait aussi dans l’âge adulte.
Scorsese par Scorsese
Une leçon de cinéma à la Cinémathèque (octobre 2015).
Ces derniers mois, la polémique Martin Scorsese/Netflix/Marvel a pris des proportions assez ridicules mais a eu le mérite d'entamer un début de dialogue entre les tenants du cinéma d'auteurs, les critiques de cinéma et les adeptes du "film de divertissement".
Pourtant, dès 2015, Martin Scorsese parlait déjà de sa difficulté à tourner avec les grands studios hollywoodiens et cette rencontre a le mérite de recontextualiser ses propos.
En 1959, la sortie de Shadows de John Cassavetes a eu un impact très fort sur les jeunes étudiants en cinéma de cette génération (Scorsese, De Palma, Coppola) car, enfin, il devenait possible de réaliser des films indépendants en dehors des standards et produits hollywoodiens alors déjà assez formatés.
C'est cependant grâce à la Warner Bros, la United Artists et à l'aide financière de Francis Ford Coppola que Scorsese réussit à réaliser Mean Streets et Taxi Driver mais ce tournage fut particulièrement douloureux car on lui demanda beaucoup de coupes. Comme Martin Scorsese le reconnaît lui-même "Je n'ai pas réussi à être un réalisateur hollywoodien, j'étais trop indépendant et j'ai été trop malheureux pendant les tournages." En 2019, Martin Scorsese actera définitivement cette rupture en réalisant The Irishman pour la plateforme de VOD Netflix.
Et maintenant, si vous souhaitez en savoir plus sur le tournage de Taxi Driver, connaître l'avis de Billy Wilder sur le cinéma des "réalisateurs à barbe" et si, oui ou non, Martin Scorsese a aimé Easy Rider, on ne peut que vous inciter à cliquer sur le lien ci-dessous.
Amos Gitaï: Espace et structure, cinéma et architecture
Cours du 13 novembre 2018 au Collège de France
Amos Gitaï est architecte de formation tout comme l'était son père Munio Weinraub-Gitaï qui fut membre du Bauhaus et proche de Ludwig Mies van der Rohe et Walter Gropius. Comment Amos Gitaï a-t-il réussi à articuler ces deux éléments dans sa carrière ? Pourquoi est--il finalement devenu cinéaste et non architecte?
Concrètement, on pourrait dire que ce cours s'articule autour de deux visions de l'architecture (l'école artisanale du Bauhaus dépouillée du superflu contre l'architecture du mépris des designers contemporains ayant perdu de vue la notion de projets d'habitation fonctionnels) et de deux visions du cinéma qui s'affrontent (le cinéma artisanal et ouvert au hasard d'un'Amos Gitaï contre le cinéma formaté des majors).
Quels sont les points communs entre la construction d'un bâtiment ou d'une unité d'habitation et la conception d'un film?
Le Bauhaus n'était pas un style mais une façon de travailler, un geste politique et les idées venaient de la coopération entre les différents métiers, l'architecte devant s'adapter à un programme et le retranscrire collectivement. Cette question demeure d'actualité : comment composer des villes et cités pour les rendre plus résilientes?
De même, le cinéaste reformule un scénario. Dans le type de cinéma qu'Amos Gitaï défend le scénario ne fait pas tout, il n'est que l'échafaudage de l'œuvre et doit être reformulé selon un long processus artisanal. Le texte n'est pas le film, il n'a pas de forme et c'est au cinéaste de chorégraphier l'ensemble en laissant une grande place au hasard ce que peu de producteurs contemporains comprennent.
La synthèse de cette recherche aboutissant à la réalisation du film Lullaby to my father : composition visuelle architecturale et narrative, travail composite (lecture de lettres, typographie travaillée, archives, dessins , photos , plans du Bauhaus, musique), c'est de l'art visuel qui compose autant avec l'histoire de son père qu'avec celle du Bauhaus.
Le DVD du film sera disponible dans les bibliothèques de la Ville de Paris dès la fin du confinement et nous reviendrons d'ici là sur d'autres précieux cours d'Amos Gitaï au Collège de France.
Livres numériques
Splendour
De Géraldine Maillet
Portrait glaçant de l'actrice Natalie Wood décédée dans des circonstances qui demeurent floues (elle se noya tandis que son mari, l'acteur Robert Wagner, et son amant Christopher Walken se tenaient non loin d'elle sur le pont de leur bateau). Dans un style assez chirurgical, Géraldine Maillet revient sur cette Fureur de vivre qui plongea progressivement Natalie Wood-enfant star dès l'âge de 5 ans- dans une longue descente aux enfers (alcool, drogue). C'est à vous dégoûter d'Hollywood mais c'est aussi ce qui en fait sa splendeur.
Un père sans enfant
De Denis Rossano
Qui était Douglas Sirk et quelles sont les origines de son penchant pour le mélodrame? Et si on vous disait que cela est sans doute lié à son histoire personnelle ?
Hans Detlef Sierck né à Hambourg en 1897, metteur en scène talentueux marié en premières noces à une actrice qui adhéra au parti nazi puis remarié à une autre actrice juive fut alors interdit de revoir son fils embrigadé dans les jeunesses hitlériennes .Il décida cependant de rester pour réaliser des films à Berlin dans l'espoir de pouvoir revoir son fils.Car son fils- également prénommé Detlef- devint entre-temps acteur pour le cinéma nazi.
Son mariage avec une femme juive devenant trop dangereux pour eux et, ne réussissant pas à extirper son fils des mains des nazis, il se résolut à fuir l'Allemagne en 1937. Hans Detlef Sierck rebaptisé Douglas Sirk aux Etats-Unis eut du mal à s'intégrer à Hollywood.La communauté allemande qui s'y était réfugiée dès le début de la guerre ne lui pardonna pas d'avoir tourné jusqu'en 1937 en Allemagne mais il réussit peu à peu à se faire un nom et devant enfin un réalisateur renommé et à succès.
Douglas Sirk ne revit jamais son fils et si vous voulez en connaître la raison nous vous invitons à lire ce livre "Un père sans enfant" de Denis Rossano ou à écouter le podcast de France Culture dédié à cet ouvrage et à la carrière de Monsieur Sirk.
Extorsion
De James Ellroy
Pour se moquer de Freddy Otash , ex-flic véreux, vrai maître-chanteur et mauvais détective ayant sévi dans les tabloïdes angelinos des années 50-60 ( dont le plus célèbre était Confidential ) James Ellroy nous livre ici une parodie grinçante de ses pires travers : outings d'acteurs célèbres, infox calomnieuses, proxénétisme bref tout ce qui faisait le sel de cette presse de caniveau.Ici, c'est au purgatoire que Freddy O devra expier ses péchés face à un James Ellroy goguenard.Pour la petite histoire, le personnage de Jack Nicholson dans Chinatown fut inspiré de la carrière de Freddy Otash.