Instruments insolites #1 Archéologie de la lutherie électronique
Synthétiseurs, boites à rythme, séquenceurs …, ils sont partout dans la musique d’aujourd’hui. Les instruments électroniques, qui nous semblent aujourd’hui si courants, sont pourtant issus d’une longue histoire et des tâtonnements de nombreux explorateurs du son. Premier épisode de notre série "Instruments insolites"
L’aventure de ces inventeurs passionnés, prêts à sacrifier leur dernier dollar et leurs nuits de sommeil à la réalisation de leur rêve sonore a été admirablement racontée par Laurent De Wilde dans son ouvrage Les fous du son (Grasset, 2016, repris en feuilleton radiophonique sur France Culture pendant l’été 2017). Elle n’a toutefois transmis que peu de noms à la postérité, et bien des instruments aux noms étranges -Telharmonium, Croix sonore, Audion Piano, Sphärophon ou Clavivox ont rejoint, tels d’électriques dinosaures, le grand cimetière des technologies oubliées.
Quelques-uns ont toutefois survécu et restent emblématiques de cette révolution sonore apparue dès le début du 20ème siècle. Malgré la concurrence des instruments numériques, Ondes Martenot, Thérémine, Trautonium et Moog continuent à inspirer les musiciens, qu’ils soient issus de la sphère classique ou des musiques populaires. Des enregistrements existent, pour le plus grand bonheur des fans et des curieux.
Thérémine
Le thérémine est l’un des premiers instruments de musique électronique. On en joue en déplaçant les mains entre deux antennes, une verticale qui détermine la hauteur de la note et une horizontale qui permet de faire varier le volume du son.
Le thérémine a été inventé par le Russe Léon Theremin, scientifique et musicien, qui en fait en 1922 une démonstration déterminante devant Lénine. Celui-ci commande six-cent exemplaires à distribuer en URSS et autorise Theremin à voyager en Europe puis en Amérique pour faire connaitre l’instrument novateur. Une fois aux Etats Unis, Léon Theremin y reste dix ans. Il développe d’autres inventions musicales et un système de sécurité électronique pour les prisons. En 1938, il repart brusquement pour l’Union Soviétique, probablement sous la contrainte, et est envoyé dans un camp de travail après une condamnation pour complot politique. Il est ensuite transféré dans un laboratoire où il doit travailler en collaboration avec d’autres scientifiques condamnés. Il développe alors des appareils d’espionnage et invente le système d'écoute Bourane, (précurseur du micro espion laser). Cette invention lui valut de recevoir le prix Staline en 1947. Il est réhabilité en 1956.
Cet instrument difficile à maitriser n’est jamais devenu populaire. Le son du thérémine est particulier. Quelques compositeurs ont composé pour lui, comme Edgar Varèse ou Bohuslav Martinů. Il a été utilisé au cinéma, mais également dans la musique pop. On l’entend par exemple sur « Good Vibrations » des Beach Boys. Au début des années 1960, Robert Moog perfectionnera le thérémine en créant une version avec transistor.
A lire : notre article publié lors du centenaire de la Révolution russe
A voir : Leon Theremin joue du thérémine
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Par Alice L. (Médiathèque Marguerite Yourcenar)
Ondes Martenot
Olivier Messiaen, Darius Milhaud, Jacques Brel et Radiohead ont en commun leur attachement à un instrument rare : les Ondes musicales Martenot. Moins de 300 Ondes ont été construites depuis leur invention et seulement environ 70 sont encore utilisées !
Maurice Martenot suivit un parcours parallèle à celui du russe Léon Theremin : les deux hommes sont dotés d’un esprit scientifique, jouent du violoncelle et ont été affectés aux transmissions pendant la grande Guerre. Tous deux ont été piqués de curiosité devant les oscillations produites par les lampes triodes entre deux transmissions de télégrammes et ils joueront avec ces sons très purs, sortis d'un autre monde, qui vont de l'extrême grave à l'extrême aigu.
Le 3 mai 1928 a lieu le premier récital de Maurice Martenot à l’Opéra de Paris. Deux ans après Theremin, le succès du Français semble encore plus éclatant et immédiat : son instrument délivre une musicalité inédite et le public est comme happé par ces sonorités futuristes.
Maurice Martenot passera sa vie à améliorer cet instrument particulièrement fragile. Sa fabrication artisanale ne supportera jamais la production en série malgré une tentative tardive nommée l’Ondea.
Instrument monodique, l’Onde ne peut émettre qu’une seule fréquence à la fois. Dès la deuxième version, l’Onde Martenot ressemble à une boîte au-devant de laquelle court un ruban souple, mobile, actionné à l’aide d’une bague (dans laquelle se loge l’index droit de l’ondiste), elle-même reliée à un potentiomètre. Le musicien a pour appui une tablette saillante sur laquelle figure un clavier. Dans les premières versions de l’instrument, les touches du clavier ne produisent pas de notes mais servent de repères au « jeu à la bague », ou « jeu au ruban », qui produit des timbres proches de la voix ainsi que des effets de legato et de glissando.
A voir : Thomas Bloch joue des ondes Martenot
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Par Angélique C. (Médiathèque Marguerite Yourcenar)
Trautonium
Friedrich Trautwein est né en 1888 en Allemagne. Etudiant en électrotechnique, il est affecté à la radiocommunication pendant la première guerre mondiale, tout comme Theremin et Martenot.
En 1929, il construit son propre prototype d’instrument : qu’on imagine un meuble genre secrétaire avec toutes sortes de gros boutons à la place des tiroirs et, à l’endroit où l’on écrit, une réglette au-dessus de laquelle est tendu un fil. On s’assoit, on pose le doigt sur le fil qui en entrant en contact avec la réglette produit un son, un peu comme le manche d’une guitare à une corde. Le Trautonium est construit selon le même principe que les Ondes Martenot : c’est un instrument électronique avec lequel il est possible d'obtenir un jeu expressif en utilisant le vibrato, les glissandi sur trois octaves et les nuances dynamiques, en variant la pression.
La première version du Trautonium, le Volkstrautonium, construite en 30 exemplaires par la société Telefunken, ne rencontre de succès commercial, mais le compositeur Paul Hindemith, intéressé par cette invention, en commande trois pour une de ses compositions, interprétée par un de ses brillants élèves, Oskar Sala.
Ce dernier reprend à son compte les travaux de Trautwein et développe une version concert de l’instrument, le Mixtrautonium, en ajoutant une réglette supplémentaire et de nombreux perfectionnements. L’instrument fera le tour du monde avec Sala, Alfred Hitchcock le popularisera grâce à son film les Oiseaux où les cris sont réalisés avec l’instrument. Cas unique en son genre, Sala restera le seul développeur et interprète de cet instrument complexe à maîtriser.
A voir : Oskar Sala joue du Mixtur-Trautonium
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Par Thierry C. (Médiathèque Marguerite Yourcenar)
Synthétiseur Moog
Deux disques de Wendy (Walter) Carlos, compositrice et interprète de musique électronique américaine, vont révéler le synthétiseur Moog au monde entier : Switched-On Bach (1968) et la bande originale du film Orange Mécanique (1972). L’entreprise Moog existe alors depuis près de vingt ans. Elle est spécialisée dans la réparation et la fabrication de Thérémines en kit. Peu à peu, elle s’oriente vers les synthétiseurs, bénéficiant de l’effervescence en innovation dans ce secteur.
Robert Moog est ainsi à l'origine du premier synthétiseur commercial. Auparavant, les synthétiseurs développés par des laboratoires comme Bell ou RCA étaient très volumineux et ne pouvaient être produits en série. Robert Moog perfectionne la structure développée par Donald Buchla articulée autour de modules fonctionnels connectables : oscillateur, filtre et enveloppe combinables par des câbles. Buchla, également à l'origine d'une longue lignée de synthétiseurs, s'était lui-même inspiré du système de synthèse sonore Music 3 des laboratoires Bell.
En suivant les directives d'un professeur de solfège puis en collaborant avec des musiciens, Robert Moog réduit la taille des synthétiseurs de première génération et développe une gamme nouvelle de sonorités proches de la nature. Ainsi, les fonctionnalités et les capacités sonores des synthétiseurs Moog furent plébiscitées par les musiciens.
Les synthétiseurs Moog connaissent de nombreuses déclinaisons dans les années 1970 et 1980, comme le synthétiseur monophonique Moog Satellite, le célèbre Minimoog, le Memorymoog ou encore le synthétiseur polyphonique Polymoog.
A lire : un article de Trevor Pinch paru en 2005 dans la revue Mouvement.
A voir : Kaitlyn Aurelia Smith joue au Moog Sound Lab
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Par Josselin G. (Médiathèque Marguerite Yourcenar)
A lire également : Instruments insolites #2 : Instruments de verre