Films, livres numériques, documentaires, conférences... Cinéma en ligne : la projection commence
Image extraite du film Kill Bill de Quentin Tarantino (2003)
Découvrez le quatrième épisode de nos sélections de ressources en ligne sur le 7ème Art : films, conférences, émissions TV, livres numériques et autres documentaires pour faire patienter tous les cinéphiles jusqu'à la réouverture des cinémas !
Pendant toute la période de confinement, les bibliothécaires vous proposent des ressources à découvrir en ligne autour du 7e Art. Après le premier, deuxième épisode et troisième épisode, découvrez cette semaine notre sélection de :
- Conférences, débats, masterclass...
Bon visionnage !
Longs-métrages
La Foule
de King Vidor (1928)
Film atypique pour l'époque et assez ambigu sur le fond, La Foule est caractéristique du style "Vidorien" : le personnages principal est assez antipathique, refuse de se soumettre à l'ordre établi tout en aspirant au rêve ultime américain à savoir la réussite individuelle.
On pourrait dire que le John Sims de La Foule est la version médiocre du Howard Roark - architecte idéaliste et individualiste - interprété par Gary Cooper dans Le Rebelle du même King Vidor (1949), évoluant dans le même New York majestueux et implacable pour les anonymes n'ayant pas fait fortune.
Sorti un an avant le krach boursier de 1929, ce film n'est pas dénué de stéréotypes racistes et sexistes mais n'en demeure pas moins un témoignage précieux d'une époque charnière. On imagine très bien John Sims rejoindre un an plus tard la cohorte des laissés-pour-compte broyés par la crise si bien décrite dans les romans de John Steinbeck ou Earl Thompson et documentée par les photographes Walker Evans et Dorothea Lange.
En 1928, le film fut proposé aux exploitants avec deux fins différentes : une heureuse et une triste et on ne peut s'empêcher de penser, qu'à l'heure où une nouvelle crise économique mondiale se profile, il faudrait peut-être revoir La Foule et se demander si, décidément, la fin proposée dans cette version n'est pas la plus adéquate à nos attentes.
Avril
D’Otar Iosseliani (1961)
En toute honnêteté, sans le confinement et la mise à disposition de ce film sur la plateforme Henri de la Cinémathèque, nous n'aurions sans doute pas pris le temps de regarder cet étrange objet filmique.
Censuré lors de sa sortie et jusqu'au début des années 70 en URSS, Avril est le premier film de fin d'études d'Otar Iosseliani et ça se sent En effet, ce très beau conte proche de la romance enchantée foisonne de références : si l'hommage à Tati est flagrant de par son traitement sonore burlesque caractéristique, l'histoire d'amour contrariée des deux protagonistes n'est pas non plus sans rappeler celle des deux amoureux de L'Âge d'or de Luis Buñuel tandis que le dispositif scénique rappelle fortement un certain Fenêtre sur cour d'Alfred Hitchcock.
Mais Avril n'est pas qu'un exercice formel poético-surréaliste réussi, c'est aussi et surtout une jolie fable sur les méfaits du confort moderne - on songe ici à la chanson de Boris Vian La complainte du progrès (1956) - et une célébration du droit à la différence bref, c'est un premier film lumineux et fort talentueux.
C'est aussi une douce charge contre le stalinisme que le régime en place n'a guère apprécié mais qui n'a pas empêché son réalisateur de tourner d'autres films et de remporter de nombreux prix à l'étranger (Mostra de Venise, Prix Louis-Delluc, Ours d'argent au Festival de Berlin).
Si le mois de Mai est déjà là, vous l'aurez compris, nous vous recommandons fortement de regarder le Avril d'Otar Iosseliani.
Vérités et Mensonges : Orson Welles (F for Fake) (1973)
Qui était vraiment Elmyr de Hory l'un des plus célèbres faussaires des années 60 menant grand train à Ibiza et recherché par Interpol ? Avait-il réellement en sa possession les mémoires d'Howard Hughes?
Qui d'autre qu' Orson Welles auteur du plus grand canular radiophonique de tous les temps (la retranscription de La Guerre des mondes en 1938 provoqua quelques accès de panique aux Etats-Unis) pouvait résoudre l'énigme?
Il vous dira que "Tout ce que vous verrez dans l'heure qui suit est absolument vrai".
Comme nous n'avons vraiment, mais vraiment pas, envie de divulguer l'intrigue ni de gâcher votre plaisir, on se contentera de vous dire que tous les artistes sont des mystificateurs et que les ayants-droit d'Orson Welles pourraient demander des comptes à un certain Monsieur Banksy pour son Faites le mur fortement "inspiré" de ce film-essai fort déroutant.
Martha
de Rainer Werner Fassbinder (1974)
Formellement, Martha constitue l'un des hommages les plus aboutis de Rainer Werner Fassbinder au cinéma hollywoodien, en particulier à celui de Douglas Sirk. Sur le fond, c'est beaucoup plus complexe puisqu'il traite à la fois de la condition féminine en Allemagne dans les années 70, du sujet délicat des violences conjugales et de la perversion d'un système.
On le sait, chez Fassbinder, le mariage est très souvent synonyme d'enferment, de perte d'autonomie menant à la folie : les bons maris s'avèrent de dangereux psychopathes (on songe ici au personnage masculin de Pourquoi monsieur R. est-il atteint de folie meurtrière ?) tandis que leurs femmes décoratives et légèrement inquiétantes leur servent de domestiques ou de punching-ball.
Le mariage de Martha et Helmut Salomon est à l'image du passé honteux de l'Allemagne, quelque chose de gênant à voir, un carnage dont il faudrait détourner collectivement le regard, une soumission qu'il faudrait oublier.
Martha est un film cruel et dérangeant, réalisé la même année que le film polémique Portier de nuit de Liliana Cavani et ils sont tous les deux symptomatiques d'une période troublée qu'il ne faudrait pas oublier.
Courts-métrages
Jeux des reflets et de la vitesse
D’Henri Chomette (1925)
D'abord, les objets tournent et nous perdons l'équilibre progressivement et puis, voici Paris qui apparaît, la ville des flux. Nous voilà emportés à toute vitesse, en caméra subjective, d'abord sur une ligne du métro aérien puis dans une vertigineuse traversée de la Seine. Tout va vite, de plus en plus vite, on dirait que la Fée Électricité s'est emparée de la caméra. On y verra Notre-Dame de Paris et puis une Tour Eiffel renversée mais déjà les rails et les quais du métro se confondent, nous rappellent et avant d'avoir eu le temps de reprendre notre souffle, nous voilà revenus à une sorte d'état gazeux.
Si Henri Chomette, frère de René Clair, est connu pour avoir été le réalisateur du premier film parlant tourné en France (Le Requin, 1930), on sait peut-être moins qu'il a été un des tout premiers réalisateurs de films d'avant-garde français. Sincèrement, nous vous invitons à faire ce voyage expérimental datant 1925 : c'est mieux qu'un tour de grand huit à la Foire du Trône et ça dure un peu plus longtemps.
Le sang des bêtes
Georges Franju (1949)
En 1948, en dehors des reportages photographiques d'Eli Lotar datant des années 30, il n'existait pas d'images filmées sur les conditions de vie des employés des abattoirs parisiens et sur le traitement réservé aux animaux.
Qualifié à la fois de film vériste et expérimental, Le sang des bêtes est un film difficile à regarder qu'il faut remettre dans le contexte du Paris de l'après-guerre. Nous préférons vous prévenir : du processus d'équarrissage des chevaux, vaches et veaux aux amputations des employés exerçant dans des conditions de travail indignes, rien ne nous est épargné.
On pourrait considérer qu'à l'instar d'un Upton Sinclair dont le roman La Jungle avait contribué en 1905 à l'amélioration des conditions de travail et d'hygiène dans les abattoirs de Chicago que Georges Franju aurait alors fait figure de lanceur d'alerte avec ce documentaire éprouvant mais cette comparaison semble un peu anachronique.
Voici le Paris d'après-guerre, ne le jugeons pas, regardons-le et apprenons de lui.
Anémic cinéma
De Marcel Duchamp, Man Ray et Marc Allégret (1926)
D'accord, Anémic Cinéma ce sont des disques optiques qui tournent en alternance avec des impressions de jeux de mots frôlant l'écriture automatique. Mais ce n'est pas que ça.
Nous sommes en effet en droit de nous demander ce que serait devenu l'art cinétique sans le Anémic Cinéma de Marcel Duchamp, Man Ray et Marc Allégret. Tout comme nous pouvons légitimement nous poser la question suivante : est-ce que par hasard ce court métrage expérimental de 1926 ne serait pas non plus à l'origine de l'auto-hypnose ? A moins qu'il ne s'agisse plutôt ici de considérer l'auto-hypnose comme un art?
Si vous rencontrez des difficultés d'endormissement en ce moment ou que vous êtes atteints de légères crises d'angoisse, nous vous conseillons de regarder attentivement ce court métrage, vous verrez que progressivement vous vous sentirez plus détendus et, lentement, en lisant les séquences suivantes: Esquivons les ecchymoses des Esquimaux aux mots exquis ou Parmi nos articles de quincaillerie paresseuse, nous recommandons le robinet qui s'arrête de couler quand on ne l'écoute pas vos épaules se détendront d'elles-mêmes et vous vous apaiserez. L'exercice est très bon pour les cervicales aussi vous verrez.
Fille du calvaire
Réalisé par Stéphane Demoustier
Métro après métro, jour après jour, Patrick donne à son ami Jérôme des conseils de séduction. Stéphane Demoustier, réalisateur de La fille au Bracelet sorti en salles le 12 février 2020, nous fait vivre avec humour une histoire d’amour par procuration. Ce film a reçu le soutien du fonds d’aide au court métrage de la ville de Paris.
Le Ballet mécanique
de Fernand léger et Dudley Murphy (1924)
1922: l'artiste Fernand Léger réalise l'affiche de La Roue d'Abel Gance, un des films les plus importants de l'avant-garde des années 20.
1924 : la France a basculé dans l'ère industrielle, celle du machinisme chère aux architectes (Le Corbusier) et à Fernand Léger et Le ballet mécanique pourrait en être sa symphonie visuelle : ça tourne, ça bouge, ça monte, ça descend , c'est un vrai ballet d'ustensiles, de machines, de lettres, de chiffres de parties de corps, une célébration de la vie industrielle et urbaine. On y croise aussi un Charlie Chaplin de papier et une Kiki de Montparnasse en chair et en os dans une ambiance de fête foraine assez dadaïste.
Qualifié de film expérimental post-cubiste, le Ballet mécanique fut le seul film réalisé par l'artiste Fernand Léger en collaboration avec Dudley Murphy même s'il contribua aussi, en qualité de directeur artistique, à l'élaboration d'un des plus beaux films de l'histoire du cinéma L'Inhumaine de Marcel L'Herbier.
Gros chagrin
De Céline Devaux
Jean (brillamment interprété par Swann Arlaud) fête son anniversaire et se souvient… Mêlant prise de vue réelle et animation, ce film récompensé par un Lion d’or à Venise en 2017 évoque avec justesse et émotion la mémoire d’une rupture. Ce film a reçu le soutien du fonds d’aide au court métrage de la ville de Paris.
Documentaires
Tarantino : le disciple de Hong-Kong
De Jac & Johan. (2011)
On connaît la passion de Quentin Tarantino pour le cinéma hongkongais et, d'une façon plus générale, pour le cinéma de genre (Kung-fu, Jidai-geki, Chanbara, Wu xia pian) mais jamais elle n'avait été aussi bien décortiquée et analysée que dans ce documentaire brillant de Jac & Johan. La qualité des intervenants ainsi que sa réalisation fidèlement tarantinesque en font en précieux objet d'étude sur l'œuvre du plus fidèle disciple de la Shaw Brothers et nous délivre les clés de la "méthode Tarantino".
S'il est incontestable que Quentin Tarantino s'est bel et bien approprié certaines scènes du cinéma hongkongais (City on Fire de Ringo Lam/Réservoir Dogs), il a réussi à absorber les codes du cinéma asiatique et son langage universel proche du cinéma muet tout en créant son propre style. En somme, il a réussi une synthèse entre le cinéma de genre japonais comportant de longues scènes de bavardages (Kurosawa, Kitano), et celui plus ludique et urbain du cinéma hongkongais tout en y apportant sa touche personnelle imprégnée de références plus occidentales.
Les réalisateurs asiatiques "pillés" par Tarantino ne semblent pas lui en avoir tenu rigueur et affirment admirer son travail, apprécier l'hommage rendu et s'inspirer à leur tour de ses films. Bref, tout le monde semble s'accorder à dire que Quentin Tarantino est un réalisateur très talentueux et très respectueux des codes, des réalisateurs et des acteurs du cinéma de genre.
Personnellement, nous sommes plutôt d'accord même si nous aimerions bien savoir ce que les fans de Bruce Lee - qui ont vénéré son Kill Bill - ont pensé du dernier hommage qu'il lui a rendu dans Once upon a time in Hollywood. Mais, après tout, personne n'est parfait.
Allez, en bonus, on vous propose nos 2 sélections sur les films de Kung-fu et de Wu xia pan.
Miniyamba
de Luc Perez (2013)
L'esprit de Miniyamba, Grand Serpent protecteur et tyran des villages décrit par la mythologie soninké d'Afrique de l'Ouest, irrigue l'histoire dessinée que raconte Luc Perez. Comme les dizaines de milliers de personnes qui chaque jour dans le monde quittent leur terre natale, Abdu, un musicien malien, et le jeune Bakari rencontré en chemin ont decidé de gagner l'Europe. Ils ont dû abandonner leurs dernières richesses pour payer les passeurs, mais ce sacrifice ne les protège pas des embûches qui se multiplient sur la route. Amoureux du blues (le film est dédié à Robert Johnson et à Ali Farka Touré), Luc Perez a voulu que la musique traditionnelle malienne sous-tende l'action du film et réchauffe l'image de ses accords envoûtants. Réhaussés et dynamisés par le flux musical, les dessins s'animent de couleurs vives et de textures soyeuses jusqu'à nous faire comprendre de manière explicite, sans jamais nous brusquer, la tragédie que vit une grande partie de l'humanité.
Ce film fait partie du fonds documentaire les Yeux Doc accessibles aux lecteurs des bibliothèques. Pour vous inscrire en ligne, rendez-vous ici.
What You Gonna Do When The World's On Fire ?
de Roberto Minervini (2018)
Comme nombre de documentaristes, Roberto Minervini a développé des affinités électives avec un pays, une région, une population, qu'il a découverts en tant qu'étranger. Le cinéaste italien a choisi le Sud des États-Unis, entre Texas et Louisiane. Il a réalisé en quelques années une œuvre dédiée aux laissés-pour-compte de l'Amérique. Le projet initial de "What You Gonna Do..." était de creuser les origines de la musique afro-américaine et son rôle dans la lutte pour les droits des Noirs.
La rencontre avec Judy Hill, descendante d'une famille de musiciens R&B et patronne du bar Ooh Poo Pah Doo de Treme (Nouvelle-Orléans), lui ouvre les portes de territoires et de quartiers considérés comme inaccessibles par les Blancs. Sans perdre le fil rouge de la musique, toujours présente en arrière-plan, Minervini construit un film de dialogues à travers les histoires croisées de plusieurs personnages, victimes de la radicalité des conflits raciaux. Le noir et blanc somptueux de l'image, choix "politique" du réalisateur, magnifie la beauté des visages et des corps sans jamais édulcorer le tragique de ces existences marquées par les éclats d'une violence devenue endémique.
Ce film fait partie du fonds documentaire les Yeux Doc accessibles aux lecteurs des bibliothèques. Pour vous inscrire en ligne, rendez-vous ici.
Conférences, débats, masterclass...
La France intouchable
Cours de cinéma par Jean-Baptiste Thoret, historien et critique de cinéma, au Forum des Images (2016)
Dans un article d'avril 2020 Jean-Michel Frodon déclarait au sujet de la fermeture des salles de cinéma : "Il est en effet possible que le cinéma vienne non à disparaître, mais à se raréfier au rang de curiosité réservée à des poignées de passionné·es se nourrissant essentiellement de grandes œuvres du passé. Il occuperait alors dans la vie commune un statut comparable à celui que détient par exemple aujourd'hui l'opéra". Si cet article se réfère aux conséquence de la crise du Covid-19, force est de constater que le cinéma comme espace commun a disparu, que son public s'est communautarisé.
Qu'ont en commun les films Intouchables, les Choristes, la Famille Bélier, Astérix aux Jeux Olympiques, Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ?, Rien à déclarer et qu'est-ce qui fait que les critiques de cinéma n'arrivent pas en en parler? Pourquoi ces films font-ils des millions d'entrées sans bonnes critiques et qu'est-ce que ces millions de personnes viennent y chercher alors que les films d'auteur analysés par la critique professionnelle font maximum 120 000 entrées?
Selon Jean-Baptiste Thoret, si les critiques n'en parlent pas malgré leur succès ce n'est pas par condescendance mais tout simplement parce qu'ils ne sont pas armés pour les analyser car leurs codes relèvent plus du domaine du film publicitaire ou du téléfilm que du cinéma et ne dialoguent plus avec l'histoire du cinéma. Désormais, l'espace commun c'est la télévision, le jeux vidéo, la téléréalité, le réseau social. L'exemple de la scène finale d'Astérix aux Jeux Olympiques est frappante à ce sujet : il n'y a presque plus d'acteurs professionnels, uniquement des "people" issus du monde du sport et des médias, nous assistons plus à du stand-up sur grand écran qu'à autre chose.
Alors, de quoi ces films sont-ils le nom? Est-ce qu'ils nous disent quelque chose de la France contemporaine? Selon Jean-Baptiste Thoret tous ces films ont quelques points communs:
Ils ne sont pas ancrés dans la réalité, ils relèvent tous du domaine du merveilleux ou de la fable. La France qui y est représentée n'existe pas , elle est comme enfermée dans une boule de neige (Rien à déclarer). Ces millions de spectateurs ne veulent pas voir la France telle qu'elle est mais regarder un conte de fée (Les Choristes, La Famille Bélier caricature d'un monde agricole de téléréalité entre les émissions The Voice et L'Amour est dans le pré).
Tous les personnages sont monolithiques et stéréotypés (Intouchables, les Choristes, Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu?), ils évoluent peu et incarnent en cela une certaine idée du vide politique dans le cinéma français. Tous ces films mettent en scène des communautés qui ne se supportent pas (Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu?). La France intouchable ce n'est pas une France apolitique c'est une France qui se referme sur elle-même et où chacun doit rester à sa place, en cela ces films devraient plus intéresser les sociologues que les critiques de cinéma.
Dialogue avec David Lynch
Rencontre à la Cinémathèque le 13 octobre 2010
Préfigurant , le documentaire sorti en salle en 2017, David Lynch :The Art Life, cette rencontre aborde principalement son attrait pour les arts plastiques et visuels.
S'il y revient sur son enfance et ses études à l'école des Beaux-Arts de Pennsylvanie, c'est en partie pour nous expliquer qu'il est arrivé au cinéma un peu par hasard, par accident. David Lynch voulait être peintre et c'est en travaillant la matière, en regardant ses tableaux et ses sculptures "bouger" que l'idée de l’animation lui est venue. C'est grâce à un heureux hasard que son premier court métrage The Alphabet a pris cette forme hybride entre l'animation et la prise de vue réelle. David Lynch a toujours été un bricoleur d'images et de sons et a toujours eu pour projet de mélanger ses passions (dessin, lithographie, peinture, musique, sculpture, cinéma) mais n'accorde pas une importance démesurée à la mise en scène. Toutes les forment lui parlent, chacune a sa langue, il ne hiérarchise pas et chaque idée aboutit à un projet qu'il soit plastique, musical, télévisuel ou cinématographique.
Un peu comme Stanley Kubrick, David Lynch est le seul maître à bord de ses projets et a installé chez lui un atelier et un auditorium lui permettant de monter ses projets de plus en plus expérimentaux en toute autonomie. Même si ses fans attendant toujours un nouveau long métrage, il est probable qu'il n'arrive jamais et que David Lynch soit passé à autre chose. Mais où qu'il aille, ils le suivront.
Paris vu par le cinéma expérimental
Conférence de Christian Lebrat au Forum des Images (2013)
Le Paris qui dort de René Clair (1923) où le gardien de la Tour Eiffel découvre un Paris immobile devenu subitement silencieux et peuplé de parisiens figés dans l'espace devrait réconcilier les amateurs de cinéma expérimental et ses détracteurs qui en ont, bien souvent, une idée approximative ou déformée. Celui d'Henri Chomette en 1925 dans le Jeux des reflets et de la vitesse est le reflet d'une ville de et du flux. Le Rien que les heures d'Alberto Cavalcanti nous propose dans un style déroutant et symphonique, une vision particulièrement onirique de la vie quotidienne des parisiens. Le documentaire de 1949 de Georges Franju, Le sang des bêtes, sur les abattoirs de la porte de la Villette est un film difficile à voir mais jamais le Paris de l'après-guerre n'avait été filmé avec autant d'harmonie et de mélancolie.
Inspiré du mouvement lettriste d'Isidore Isou, le Un soir au cinéma (1962) de Maurice Lemaître prend les écrans de cinéma parisiens comme support de création artistique tandis qu'en 1982 le mexicain parisien d'adoption Teo Hernandez filme une cathédrale Notre-Dame de Paris mystique et joyeuse grâce sa caméra super 8 tourbillonnante.
Paris c'est aussi la ville des cinéastes de la Nouvelle Vague et des ciné-tracts de 1968 qui seront autant de témoignages pour les générations futures de l'atmosphère de la ville à ce moment si particulier de l'histoire contemporaine française. Et puis, il y a le Paris de Tati, celui de Playtime en particulier.
Voilà, c'est aussi ça le cinéma expérimental : un cinéma exigeant mais ouvert à tous, une manière différente d'interpréter le monde qui nous entoure. Dans cette conférence richement agrémentée d'extraits de films, Christian Lebrat-responsable des éditions Paris-expérimental - a réussi l'exploit de dédramatiser le sujet tout en rendant à Paris son rôle central dans le cinéma d'avant-garde. Allez-y, cliquez : c'est l'occasion d'en finir avec préjugés sur le cinéma expérimental.
Donner la Parole : Claudine Nougaret et Raymond Depardon
Rencontre à la Cinémathèque lors de la projection à la cinémathèque de "La vie moderne" (2013)
Le langage est une des questions centrales de l'œuvre documentaire de Claudine Nougaret et Raymond Depardon. Comment parler et faire parler des gens dont le langage n'est pas aisé (voir le triptyque sur les paysans) et pour lesquels le silence est une autre forme de langage ? Comment écouter et faire parler des personnes hospitalisées en unités psychiatriques (San Clemente, 12 jours), en attente de jugement (Délits flagrants), ou ceux qui ne parlent pas notre langue ou dont la langue est en train de disparaître (Le Chipaya) et dont l'accès au langage est difficile et ne va pas de soi?
Comment filmer dans des institutions (hôpitaux, tribunaux) où les différentes parties ne parlent pas le même langage (patients/médecins, accusés/juges d'instruction) et comment trouver sa place dans ce dispositif pour restituer les différentes paroles et langages?
Les films de Nougaret et Depardon reposent sur ce dispositif et sur leur capacité à filmer frontalement les autres sans jugement de valeur, à s'adapter à ces tensions et à leur résistance au dialogue en sachant filmer "à la bonne distance" sans déranger leurs interlocuteurs ni les interrompre.
C'est grâce à cette méthode que Claudine Nougaret et Raymond Depardon ont réussi à établir le seul et unique grand portrait de la France et des français sur une période de 40 ans. Montrer la France rurale, celle des sous-préfectures, des cantons et ronds-points sans militantisme politique, regarder, écouter, prendre le temps à la manière d'un Antonioni ou d'un Ozu c'est aider à la comprendre. Il est fort à parier que, dans 40 ans, leurs documentaires apporteront une vision plus réaliste de la société française d'alors tandis que les œuvres militantes de la Nouvelle Vague ne seront plus que des essais, des brouillons militants déconnectés d'une certaine réalité.
Regardez-les, écoutez-les : ils sont probablement la meilleure part de nous-mêmes.
A découvrir également, Mon Arbre, dernier film de Raymond Depardon et Claudine Nougaret, réalisé à l’occasion de l’exposition "Nous les Arbres" (2019) à la Fondation Cartier.
La Masterclass d'Arnaud Desplechin et Mathieu Amalric
La Cinémathèque en 2019
Rencontre avec Arnaud Desplechin et Mathieu Amalric à la Cinémathèque Française. Le film du réalisateur de la post-Nouvelle Vague, Rois et reine (2004) a été projeté avant son intervention et celle de son alter ego. Durant cette Masterclass, ils échangent sur ce film et leur expérience commune.
Télévision(s)
Parlement
web-série de Noé Debré (2020)
Pluie de louanges dans la presse ces dernières semaines pour la web-série de Noé Debré co-auteur de Dheepan de Jacques Audiard. On préfère vous prévenir, Parlement ce n'est pas le Borgen ou le House of Cards du Parlement Européen mais plutôt sa version Dix pour cent (série produite également par le groupe France Télévision). Une sorte de "Parlement européen pour les nuls" mais en mode comique. C'est pédagogique, assez dynamique, parfois un brin caricatural mais le neuvième épisode a fait voler en éclats certaines de nos réticences. On souhaite à l'équipe de cette web-série innovante une belle continuation, en particulier à l'acteur William Nadylam impeccable dans son rôle d'administrateur impassible et qui nous a bien fait rire avec cette réplique qui risque de devenir rapidement culte : « Et là ça devient assez simple, puisque le compromis F qui modifie le paragraphe 13 est composé de l’amendement 45 déposé par le PPE, de l’amendement 67 des Verts, auxquels s’ajoute un amendement 13 des socio-démocrates. ». Vous n'avez rien compris ? Regardez la série et vous deviendrez, vous aussi, un as de de l'amendement et de la pêche aux ailerons de requin. Ce sera toujours cela de pris.
Michel Simon - La nuit écoute
Émission enregistrée le 27 décembre 1965
Face à Claude Santelli, le comédien Michel Simon, son chat entre les bras, livre sa vision pessimiste sur l'avenir : il prédit la disparition des animaux et la prolifération de l'homme. La femme aurait pu sauver l'humanité selon lui, car elle est en contact avec la nature, mais elle n'a pas voix au chapitre. Il dénonce le progrès de la science chimique qui "assassine la Terre, qui assassine l'oiseau, qui tue toute vie ! Qui assassine l'Homme ! On s'en apercevra peut-être trop tard."
Entretien entre Patrick Brion et Claude-Jean Philippe
Le cinéma des cinéastes (1978)
Depuis 1976, Patrick Brion est LA voix du Cinéma de minuit à la télévision mais il est bien plus que cela : il est et sera toujours le plus grand historien français du cinéma américain. Il a très tôt alerté sur la nécessité de préserver les films et ses cycles ont permis d'en sauver plusieurs en particulier ceux de Maurice Tourneur. De nombreux cinéphiles et réalisateurs lui doivent leurs premiers émois cinématographiques et c'est sans doute ce qui explique qu'en 2019 une pétition en faveur du maintien du Cinéma de Minuit a sauvé cette émission.
Claude-Jean Philippe fut l'autre grand Monsieur du ciné-club télévisé et le créateur de l'émission Le Cinéma des cinéastes sur France Culture.
Réunissez-les tous les deux dans une même pièce , demandez-leur de parler de leur passion commune et le temps suspend son vol.
Datant de 1978, cet entretien se situe à une époque charnière du cinéma américain où le marché est florissant après 20 ans de récession : lassés de la publicité et du formatage des programmes télévisés, les spectateurs ont retrouvé le chemin des salles de cinéma en particulier grâce à la nouvelles génération de producteurs-réalisateurs (Steven Spielberg, Francis Ford Coppola, Georges Lucas, Stanley Kubrick) qui ont su prendre des risques et offrir des films de qualité au grand public. Si le western et les films policiers ont pratiquement disparu des écrans de cinéma à cette époque, ils ont trouvé une seconde vie à la télévision. 42 ans plus tard, le public semble avoir fait le trajet inverse : de la salle de cinéma à la plateforme de streaming.
Juste une dernière chose : merci Messieurs Patrick Brion et Claude-Jean Philippe : on vous aime.
Livres numériques
Mount Terminus
De David Grand
David Grand a mis 11 ans à écrire cette épopée flamboyante sur les débuts d'Hollywood. Il n'est pas illogique de penser parfois au Chinatown de Polanski puisque David Grand a déclaré s'être inspiré de William Mulholland pour l'un de ses personnages principaux. Cette ode à la Californie du début du XXe siècle, tient autant du western, du roman gothique que du mythe biblique tout en déployant une réflexion sur le pouvoir de l'image cinématographique. Rarement cette époque aura été aussi bien restituée à l'écrit, ce qui fait de Mount Terminus une sorte de chef-d’œuvre qu'on rêve de voir adapté à l'écran.
Derniers feux sur Sunset
De Stewart O'Nan
Hollywood,1937.Recruté par Irving Thalberg, Francis Scott Fitzgerald voit en Hollywood sa dernière planche de salut. Ruiné, dépressif, il a tout perdu depuis la Grande Dépression de 1929. Pour survivre, il doit désormais écrire et travailler pour des acteurs, réalisateurs et producteurs qu'il avait jusqu'ici méprisés. Francis Scott Fitzgerald comme de nombreux autres écrivains à cette époque devint donc scénariste par la force des choses. Il lui fallut s'adapter à la censure des studios , assister au saccage de son œuvre, ronger son frein en noyant son amertume dans des litres d'alcool.
Doté d'un casting époustouflant (Marlene Dietrich, Ernest Hemingway, Humphrey Bogart, Dorothy Parker) ce portrait crépusculaire des dernières années de Fitzgerald est l'un des plus beaux hommages qui lui ait été rendu depuis bien longtemps ainsi qu'une critique féroce des studios de l'âge d'or hollywoodien.
John Belushi, la folle et tragique vie d'un Blues Brothers
De Bob Woodward.
Vous connaissez l'histoire, c'est toujours un peu la même à Hollywood : réussite fulgurante, drogues, et ça se termine souvent mal à la fin. En l'occurrence, ça s'est terminé en overdose au Château Marmont le 5 mars 1982 pour John Belushi. Il avait 33 ans.
Une lente destruction donc, tragiquement banale dans le show business, oui, mais pas quand elle est racontée par Bob Woodward - l'un des journalistes qui révéla le scandale du Watergate - et qui n'avait pas particulièrement d'affection pour le "Joliet" Jake Blues des Blues Brothers.
Ceci n'est ni un roman ni un scénario mais cela y ressemble fort, c'est de la non-fiction de haute qualité, une enquête approfondie sur une lente destruction, le silence de l'entourage, la complaisance d'un milieu professionnel irresponsable, la solitude et les zones d'ombres qui entourent les dernières heures de John Belushi. C'est moche mais c'est raconté avec un grand talent et on ne peut que féliciter les éditions Capricci d'avoir traduit ce titre - sorti il y a 30 ans aux Etats-Unis - dans son excellente collection "La première collection" disponible sur le site de la bibliothèque numérique de la Ville de Paris.
Avec Édouard Luntz
De Julien Frey
Édouard Luntz fut l'assistant de Nicholas Ray puis remporta en 1960 le Prix Jean Vigo du court métrage pour Enfants des courants d'air, un prix de la critique à Berlin en 1966 pour Les Coeurs verts et tourna en 1968 une production hollywoodienne pour la 20th Century Fox et pourtant, qui a entendu parler d'Édouard Luntz?
Pourquoi ce réalisateur engagé-source d'inspiration pour Maurice Pialat-est-il tombé dans l'oubli un peu à la manière d'un Alfred Machin ressuscité par Maryline Desbiolles dans son roman Machin (également disponible sur le site de la bibliothèque numérique de la Ville de Paris) ?
C'est à cette question que Julien Frey tente de répondre dans cette bande dessinée très documentée dont on imagine très bien une adaptation au cinéma.Les cinéphiles apprécieront cette redécouverte, les autres devraient aussi y trouver leur compte.