11 visages du jazz, épisode 1 autumn leaves
Les feuilles mortes / paroles de Jacques Prévert ; musique de Joseph Kosma ; créée & enregistrée par Yves Montand (disque Odéon) ; enregistrée par Tino Rossi (disque Pathé) ; photos Harcourt (Crédit Ville de Paris/MMP)
En quelques notes, il est identifiable : un rythme qui claque, une mélodie reconnaissable ou à défaut, facile à retenir… Cet été, découvrez l'histoire de 11 standards incontournables du jazz. Aujourd'hui, épisode 1 : Autumn Leaves
Cet article fait parti du dossier "Les 11 visages du jazz"
Autumn Leaves est sans doute le standard de jazz non américain le plus emblématique. Il a été enregistré près de 1 400 fois par des musiciens de jazz du monde entier. Connaissant un immense succès tant en Europe qu’aux États-Unis, il a également été largement utilisé dans le cinéma au fil des décennies.
À l’origine, Les Feuilles mortes est une chanson française de 1945, composée par Joseph Kosma sur des paroles de Jacques Prévert. Bien qu’elle ait connu un échec commercial à sa sortie, elle deviendra, quelques années plus tard, un succès international. La version d’Yves Montand, datant de 1950, tout en élégance et retenue, est l’une des plus célèbres.
En 1949, Johnny Mercer en propose une adaptation en anglais sous le titre Autumn Leaves, supprimant le couplet original. Cette version rencontre un immense succès et s'impose comme un standard du jazz.
L’histoire de cette composition, marquée par ses multiples versions, est particulièrement captivante. Sa structure musicale en fait un sujet d’étude fréquent dans l’apprentissage du jazz, car sa progression d’accords se compose presque exclusivement de séquences ii-V-I et ii-V, typiques du jazz.
Les grandes interprétations jazz
Miles Davis et Cannonball Adderley
Sur l'album Somethin' Else, la version d'Autumn Leaves est devenue une référence. Cet album est l'un des rares où Miles Davis apparaît en tant que sideman à cette période. Ce morceau est exemplaire à tous égards, notamment par sa durée exceptionnelle de 11 minutes.
L'introduction, soigneusement élaborée, commence par un motif rythmique au piano, suivi de l'entrée à l'unisson de Cannonball Adderley et Miles Davis sur de longues notes tenues menant à un climax, avant que Miles ne reprenne la mélodie en solo. L'utilisation de la sourdine Harmon, emblématique du style de Miles Davis, confère à cette interprétation une mélancolie particulière. Miles Davis y joue avec une retenue magistrale, utilisant les silences et les notes longues pour créer une tension expressive.
Le saxophoniste Cannonball Adderley apporte quant à lui une énergie plus directe, plus soul, avec un jeu beaucoup plus dense et une sonorité puissante et énergique. Le contraste entre les deux approches donne une profondeur unique à cette version. Miles Davis exploitera cette complémentarité avec ses différents musiciens jusqu'à la fin de sa carrière.
Bill Evans
Le pianiste Bill Evans a interprété Autumn Leaves en solo, en trio et en collaboration avec d'autres géants du jazz. Son approche, profondément harmonique, repose sur des voicings sophistiqués. Il y introduit des substitutions d'accords et des réharmonisations subtiles qui enrichissent l'harmonie sans jamais trahir la mélodie.
La version enregistrée en 1959 sur l'album Portrait in Jazz avec Scott LaFaro à la contrebasse et Paul Motian à la batterie compte parmi les interprétations les plus fascinantes de ce standard. Plus qu'une simple revisite, cette version redéfinit les possibilités du trio jazz. Par sa richesse harmonique et l'interaction exceptionnelle entre les musiciens, elle constitue un chef-d'œuvre intemporel, étudié par les musiciens et admiré par les amateurs de jazz.
Joe Pass Virtuoso
Joe Pass, guitariste virtuose, utilise Autumn Leaves comme support pour développer des improvisations en accords, des walking bass et des lignes mélodiques sophistiquées. Sa version en solo démontre de manière exemplaire la capacité de la guitare à restituer, à elle seule, l’ensemble des dimensions harmoniques, rythmiques et mélodiques d’un standard de jazz.
La version d’Autumn Leaves par Joe Pass dans l’album Virtuoso est un modèle de maîtrise harmonique et de technique de guitare solo. Il ne fait pas qu’interpréter le morceau : il le recrée à chaque mesure, en exploitant toutes les possibilités de la guitare.
Sarah Vaughan
Extrait de l'album Crazy and Mixed Up, où Sarah Vaughan explore l'intimité. Elle y propose des interprétations moins démonstratives, plus intérieures que dans les années 1950-1960.
Cette version chantée d'Autumn Leaves se différencie énormément des interprétations plus classiques (Yves Montand, Nat King Cole, etc.). On y retrouve Sarah Vaughan sans les vernis d'arrangements clinquants ni les artifices du studio. L'atmosphère est libre, vibrante, presque improvisée. La voix de Vaughan y atteint une plénitude saisissante, captée de si près qu'on croit parfois sentir le souffle tiède de son chant effleurer nos oreilles. Son scat tourbillonne dans Autumn Leaves, emportant les notes avec une grâce sauvage...
Par Jean-Pierre Bourrachau, Bibliothèque Louise Walser Gaillard
les 11 standards à (re)découvrir cet été
Tout au long de l'été, vous pourrez découvrir au fur et à mesure des semaines tous les secrets derrière chacun des standards suivants :
- Épisode 1 : Autumn Leaves
- Épisode 2 : Cantaloupe Island
- Épisode 3 : Estate
- Épisode 4 : Minor Swing
- Épisode 5 : ’Round Midnight
- Épisode 6 : St. Louis Blues
- Épisode 7 : Softly, as in a Morning Sunrise
- Épisode 8 : Someday My Prince Will Come
- Épisode 9 : Stella by Starlight
- Épisode 10 : Take five
- Épisode 11 : The Girl from Ipanema