Spécial Nouvelle-Orléans / épisode 1 les chants des Mardi Gras Indians
A l’occasion du carnaval de la Nouvelle-Orleans, les bibliothécaires vous proposent de découvrir la musique de cette ville pas comme les autres. Episode 1.
Le carnaval de la Nouvelle-Orléans met en lumière un premier phénomène de brassage culturel qui contribue à forger l’identité musicale de la ville : il s’agit du défilé des Mardi gras Indians. Si la tradition du carnaval en Louisiane remonte à la fin du XVIIe siècle, le premier défilé des Indiens de Mardi gras se serait déroulé dans la seconde moitié du XIXe.
Il a lieu en marge du défilé officiel : les habitants des quartiers noirs et pauvres de la ville défilent regroupés en tribus autour de la figure du Big Chief. Ils revêtent des parures très colorées, totalement extravagantes, faites de plumes, de perles et de paillettes, qu’ils ont eux-mêmes conçues et cousues en famille pour l’occasion. La procession s’accompagne de chants traditionnels caractéristiques.
Le premier enregistrement de ces chants date de 1956. On le doit à Samuel Charters, historien de la musique qui, dans les années 50, a procédé à des enregistrements sur le terrain (field recordings), qui constituent des témoignages authentiques de la tradition musicale de la ville. Dans le chant « Red white and blue got the golden band », on peut en distinguer les caractéristiques principales : une sorte de mélopée où se répondent chant du chef et chant de la tribu, accompagnés de percussions (tambourin, tambour...). Cette structure simple de chant à répondre (call and response) est utilisée un peu partout dans le monde, de l’Afrique de l’ouest à la Bretagne, dans les rassemblements populaires, certains rituels religieux ou des chants de travail, mais aussi dans les stomp dances amérindiennes pratiquées chez les Cherokee et dans plusieurs tribus du Sud-Est des Etats-Unis.
Le texte du chant « Indian Red », entonné au début et à la fin des rassemblements de Mardi gras, est tout aussi caractéristique : c’est une ode à la fierté d’être indians, mêlant langue anglaise et créole. Les paroles en anglais évoquent les membres de la tribu (le Big Chief, le flag boy ou porte-drapeau, le spy boy ou guetteur). Le reste du chant (« Madi cu defio... ») s’inspirerait d’une vieille chanson créole louisianaise et célèbre leur courage face à l’adversité.
On trouve plusieurs explications à ce mélange de traditions africaines et indiennes. D’une part, dans les années 1740-50, les esclaves noirs ayant réussi à fuir les plantations se cachent dans les bayous de Louisiane où vivent des tribus amérindiennes. Certaines de ces rencontres donnent lieu à des unions : ainsi naît la première génération de Black Indians. C’est la mémoire de ces premières unions et de ce rapprochement entre deux communautés qui est célébrée lors du défilé des Indiens de Mardi gras.
D’autre part, un lieu a joué un rôle fondamental dans l’histoire de la Nouvelle-Orléans, la diffusion de la culture africaine et le brassage des traditions de divers horizons : c’est Congo Square, dans le quartier de Treme. Au XVIIIe siècle, le dimanche est un jour où les esclaves noirs ont l’autorisation de ne pas travailler. En revanche, ils n’ont pas le droit de se réunir. Malgré cette interdiction, ils essaient de se rencontrer sur des places publiques pour échanger, au sens commercial du terme, et faire vivre leurs traditions. Afin de circonscrire et contrôler ces rassemblements, le maire de la Nouvelle-Orléans les limite en 1817 à la seule place de Congo Square. La place devient alors un lieu unique où convergent de nombreuses communautés (africaine, amérindienne, haïtienne...) venues pour commercer et célébrer leurs identités par le chant et la danse. Congo Square a ainsi participé à la diffusion de ces traditions qui ont toutes contribué au fil des ans à la création des musiques afro-américaines.
On retrouve ainsi de nombreuses références à la tradition des Mardi Gras Indians dans les musiques populaires de la seconde moitié du XXe siècle. En 1953, James « Sugar Boy » Crawford signe « Jock-O-Mo (Iko Iko) », titre rhythm ‘n’ blues aux accents calypso dont le refrain reprend la structure du chant à répondre et dont le texte narre l’affrontement, très mis en scène, de deux tribus d’indiens de Mardi gras. Par la suite, avec le mouvement du Red Power défendant les populations amérindiennes à la fin des années 60, l’utilisation des formes musicales traditionnelles apporte une certaine authenticité aux morceaux et devient revendication. De nombreux artistes composent alors en reprenant la même structure : une introduction respectueuse de la forme traditionnelle (percussion et chant à répondre), puis un apport moderne (changement de rythme, ajout d’instrument…). En 1973, les chants traditionnels de The Wild Magnolias se prolongent dans une ambiance très blaxploitation sur le titre « Handa Wanda », soutenu par une guitare funk. Trois ans plus tard, The Wild Tchoupitoulas embarque l’hymne « Indian Red » dans une version rhythm‘n’blues dominée par la batterie et les claviers (orgue et piano). Quant au « Hu-Ta-Nay » de Donald Harrison Jr. et Dr. John (1992), il fait la part belle à un éclatant saxophone jazz-funk. Autant d’exemples qui montrent l’importance des Mardi gras Indians au sein de l’identité culturelle de la Nouvelle-Orléans et illustrent ce grand gombo musical décrit par Alan Lomax, entre respect des traditions et création bouillonnante.
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A emprunter en bibliothèque
Sélection
Musique
Indian Blues
Edité par Candid - 1992
Hu-ta-nay. Indian blues. Shallow water. Ja-ki-mo-fi-na-hay. Indian red. Two-way-pocky-way. Cherokee. Hiko hiko. Uptown ruler. Big chief. Walkin'home. Shave 'em dry.
Musique
They call us wild
Edité par Universal - 2006
Handa Wanda. Smoke my peace pipe (Smoke it right). Two way pak e way. Corey died on the battlefield. (Somebody got) soul, soul, soul. Oh ! When the Saints. Meet the boys (on the battlefront). Ho na nae. (My big chief has a) golden crown. Shoo fly (don't bother me). Iko, iko. Smoke my peace pipe (smoke it right) single edit. They call us wild. New suit. Ah anka ting tang boo shanka boo. Fire water. Injuns, here we come. New kinda groove. Juamalaka boom boom. We're gonna party. Ho na nae.
Musique
Brother John ; Meet the boys on the Battlefront ; Here dey come.
Edité par Island Records - 1976
Livre
Congo Square : racines africaines de la Nouvelle Orléans
Edité par la Tour verte - impr. 2012
Histoire du jardin de Congo Square, à La Nouvelle-Orléans. L'étude retrace la déportation des esclaves d'Afrique vers l'Amérique, le processus de créolisation et présente les récits, chansons, instruments de musique, pratiques commerciales caractéristiques des rassemblements de Congo Square mises en parallèle avec d'autres pratiques culturelles des Caraïbes.
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Pour aller plus loin :
- WEB | John Swenson, Indian generations. SMITHSONIAN FOLKWAYS RECORDINGS
https://folkways.si.edu/magazine-winter-spring-2015-indian-generations/article/smithsonian
- PODCAST | L’Afrique enchantée : Congo Square, l’Afrique à la Nouvelle-Orléans
(France Inter, 22/02/2015). Podcast et streaming disponible :
https://www.franceinter.fr/emissions/l-afrique-enchantee/l-afrique-enchantee-22-fevrier-2015
- PODCAST | Amaury Chardeau, De la piste des larmes a la Nouvelle-Orléans : mémoires amérindiennes
Emission JUKE-BOX (France culture, 17/11/2018). Podcast et streaming disponible :
Par Vincent J, médiathèque musicale de Paris